L’écologie est devenu un débris flottant dans la décomposition générale
« Ce devait être le mouvement politique de demain. Il a fini dévoré par le Parti socialiste.«
« Il s’agit (…) d’une espèce éphémère qui atteint son terme quand elle aurait du être le chaînon suivant de l’évolution.«
« Dans un monde dévolu à la croissance, horizon radieux de la répartition des biens, quelques prophètes démentent le paradigme. Qui les entend?«
http://www.slate.fr/story/138680/ecologie-decomposition-generale
Le titre et quelques phrases sont prometteuses. Hélas… même en voulant dénoncer, Claude Askolovitch semble avoir été abusé sur l’histoire de l’écologisme. Certes, le PS a activement contribué à l’étouffement de l’écologisme (1), mais cela a commencé bien avant la mésaventure avec René Dumont, quand Pierre Fournier était des nôtres. A l’époque, en France comme partout ailleurs, l’écologisme était « la nouvelle gauche écologiste », une composante du mouvement d’émancipation des années 60/70 (new left). Alors, l’objectif n’était pas la conquête d’un pouvoir capitalisé sur la dépossession et la démobilisation de la plupart. Au contraire d’espérer se couler dans le moule, les écologistes voulaient restaurer la culture du bien commun et la démocratie (sans l’électoralisme, cela s’entend) par la libre circulation de l’information, la prise de conscience et la remobilisation de tous, pour produire l’évolution nécessaire à tous les niveaux. Cela a fortement déplu aux promoteurs de la mondialisation du capitalisme ultra qui ont fait coiffer le mouvement par leurs disciples et beaucoup d’autres qui ne devaient pas y comprendre grand-chose. A peu près tous les personnages convoqués par Claude Askolovitch ont participé activement à ce naufrage. Quelques-uns en étaient à l’origine.
Et encore… Jeudi 2 mars 17 sur ARTE, un petit film de Jacques Malaterre et Jean-Yves le Naour, deux auteurs à l’évidence abusés qui nous ont habitués à beaucoup mieux. Des images d’archives soigneusement sélectionnées et des intervenants qui chantent le même storytelling (2)
Les oubliés de l’histoire
René Dumont, l’homme qui voulait nourrir le monde
« René Dumont, l’un des fondateurs de l’écologie politique en France, se présente en 1974 à l’élection présidentielle, quand la décroissance n’est pas encore à l’honneur.«
http://www.arte.tv/guide/fr/054775-002-A/les-oublies-de-l-histoire
Tant d’erreurs en si peu de mots ! Rien que cette petite phrase révèle le degré de falsification. René Dumont avait été un promoteur zélé de « la révolution verte« , belle expression qui maquillait l’industrialisation à outrance de l’agriculture (3), avec bombardements chimiques et engins lourds issus des industries recyclées de la Seconde Guerre Mondiale. C’est à cette « révolution » que nous devons l’expropriation de la plupart des paysans, la désertification des campagnes et l’explosion des banlieues, des destructions innombrables et l’effondrement de la biodiversité. Initiateur de cette malheureuse intervention dans l’élection de 1974, j’ai compris beaucoup trop tard que la conversion soudaine de Dumont à l’écologisme avait été pensée pour séduire un mouvement encore très inexpérimenté. « L’écologie politique » n’a été lancée que pour effacer la philosophie politique de la nouvelle gauche écologiste qui proposait déjà « la décroissance » et un changement de culture et de structures – en particulier politiques. Dumont a justement servi à étouffer cette alternative politique sous une couche d’impostures électoralistes reproductrices de la capitalisation des pouvoirs.
(1) Le PS n’était pas le seul, d’ailleurs. Il y avait foule pour empêcher l’éclosion de la nouvelle conscience
(2) Storytelling
La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits
Christian Salmon, La Découverte
Depuis qu’elle existe, l’humanité a su cultiver l’art de raconter des histoires, un art partout au cœur du lien social. Mais depuis les années 1990, aux États-Unis puis en Europe, il a été investi par les logiques de la communication et du capitalisme triomphant, sous l’appellation anodine de « storytelling ». Derrière les campagnes publicitaires, mais aussi dans l’ombre des campagnes électorales victorieuses, de Bush à Sarkozy, se cachent les techniciens sophistiqués du storytelling management ou du digital storytelling, pour mieux formater les esprits des consommateurs et des citoyens.
C’est cet incroyable hold-up sur l’imagination des humains que révèle Christian Salmon dans ce livre, au terme d’une longue enquête consacrée aux applications toujours plus nombreuses du storytelling : le marketing s’appuie plus sur l’histoire des marques que sur leur image, les managers doivent raconter des histoires pour motiver les salariés, les militaires en Irak s’entraînent sur des jeux vidéos conçus à Hollywood et les spins doctor construisent la vie politique comme un récit… Christian Salmon dévoile ici les rouages d’une « machine à raconter » qui remplace le raisonnement rationnel, bien plus efficace que toutes les imageries orwelliennes de la société totalitaire.
extrait de Critiques Libres :
http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/29267
L’existence entière est en passe de subir sa mise en forme sous l’aspect d’un conte, dont il apparaît au fil des analyses de C. Salmon, que sa structure obéit à des canons assez ordinaires, pour ne pas dire infantiles, tout à fait adaptés à l’espèce de réceptivité ahurie que cultivent la radio, la presse, la télévision, la « musique », la « culture » en général, et la « culture powerpoint » en particulier.
Chacun se voit traité comme le bambin qui se pelotonne contre ses parents, avant d’aller se coucher, et auquel ceux-ci racontent une belle histoire à dormir debout, afin justement de l’endormir une fois rassuré sur le fait que tout va bien et qu’il vit dans le meilleur des mondes possibles.
Bien sûr l’évidence, la légitimité hors de tout soupçon, que tous ces récits semblent véhiculer reposent sur des simplifications, des omissions, des sophismes, des déformations, habilement disposés dans le corps de l’histoire, comme un faux-nez malencontreusement oublié sur le masque de l’acteur peut passer pour un artifice anodin négligeable quant au signifié qu’il véhicule.
Qui plus est, la Loi (le conte) tombe d’en-haut, des Maîtres, de « ceux-qui-savent », avec l’autorité prêtée aux choses sacrées ou vis à vis desquelles la pensée critique est affaiblie ; en outre le processus narcissique allié au désir de protection et d’intégration à l’affût en chacun de nous, portent le sujet à s’identifier facilement à tel ou tel protagoniste, dans les schémas imaginaires que des rapports sociaux schématisés à l’extrême lui proposent, surtout si ces derniers déroulent leur trame avec la fluidité des situations où nul effort d’analyse ou de négation ne s’impose en apparence. La réduction des conflits ou des antagonismes essentiels, loin de se développer librement, est recouverte et dissimulée par le masque d’évidences cousues de câbles blancs, chez lesquelles règnent le lieu commun, le ragot de café du commerce, la bonne grosse logique de trottoir, en somme le logos de la commère et de la concierge.
Plus c’est gros, mieux ça passe, plus le propos se rapproche du caniveau, mieux il se fond dans le brouillard des ignorances ordinaires, des candeurs calculées, des roublardises du stéréotype.
On peut TOUT faire avaler à quiconque, à condition de donner aux instructions, injonctions, directives, des plus arbitraires aux plus monstrueuses ou aux plus stupides, la forme d’un récit plus ou moins habilement troussé, où les protagonistes seront choisis non pas en fonction d’une cohérence liée à la légitimité dialectiquement définie d’une fin et des moyens pour l’obtenir, mais en établissant un réseau de signes susceptibles de marquer la sensibilité, de convoquer (d’embrigader peut-on dire) les affects de l’auditeur, de la « cible », afin d’obtenir de la part de cette dernière et le consentement et les comportements utiles et profitables aux organisateurs du discours.
Vendre un produit, légitimer l’action des dirigeants d’une entreprise (séduire l’actionnaire, l’investisseur, licencier, faire avaler au personnel n’importe quelle mesure injustifiée ou scandaleuse, déposer un bilan, etc.), faire passer pour une évidence politique l’arbitraire d’une mesure économique provoquée par l’erreur ou la malhonnêteté, entraîner des soldats à aborder des situations de stress, de danger, de guerre, à abattre sans état d’âme le « méchant » de la fable, ou encore permettre à un parasite de la classe politique de convaincre, d’embobiner son auditoire par une belle histoire personnelle (totalement insignifiante au besoin) où il apparaîtra avec l’évidence magique du conte comme porteur d’une communauté de sentiments et de destins avec son public : les possibilités sont infinies des manipulations que permet cette technique tout particulièrement utilisée depuis une vingtaine d’années. Qu’on songe aux campagnes électorales, tant en France que chez les Etatsuniens, ces derniers temps.
N’importe quel aspect de la réalité peut se trouver parasité de cette manière, le zèle des cuistres de la communication n’ayant pas de limite. Même les sciences sont progressivement polluées par l’intrusion d’historiettes destinées à séduire bien plus qu’à expliquer : comme la stupidité définitivement installée des documentaires animaliers, où le lion, la marmotte ou le raton laveur sont affublés de noms, enrôlés dans des scénarios abracadabrants, invités à l’élaboration d’un dessein, sinon d’un destin…
La raison n’est plus convoquée (si tant est qu’elle le fut jamais) dans le discours (éducatif, économique, politique, militaire…), la thèse qu’affronte l’antithèse, vieilles lunes que cela ! L’interpellation sur l’Agora, la prise à témoin de l’orateur, la faculté de conspuer le menteur ou le démagogue, c’est fini !
Je me rappelle la réflexion d’un officier républicain pendant la guerre civile d’Espagne, rapportée par André Malraux dans « l’Espoir » : « …un chef ne doit pas séduire… » .
Pour une raison bien simple (c’est moi qui souligne) : par respect pour celui à qui il va ordonner d’aller se battre, par respect pour la cause qu’il défend, par respect pour la personne humaine qui ne saurait viser par l’artifice la sujétion d’une autre personne humaine.
Celui qui vous embobine ne fait pas que vous abuser : il vous méprise !
Radetsky
(3) l’une des machines de guerre de la globalisation capitaliste qui, justement, s’est avancée camouflée sous le prétexte de « nourrir l’humanité« .
Edgar Morin révisionniste ? Ou victime de celui-ci ?
Vendredi 27 janvier 2017, Edgar Morin est invité de Une semaine en France, France Inter (18H10 – 20H). Et voilà que la journaliste (Claire Servajean généralement mieux inspirée) l’engage à parler d’écologisme :
(à partir de la 16ème minute)
C’est affligeant qu’un Edgar Morin tienne de tels propos, et sur un grand media ! Affligeant et suspect puisque cela conforte l’effacement de la nouvelle gauche écologiste, une censure toujours conduite par ceux qui l’ont étouffée.
Rocard, un ennemi historique de la nouvelle gauche écologiste, avait lui aussi réemployé « écologiser« . Le mot n’a pas été déposé et chacun peut le recréer en croyant l’inventer. Mais, vu le contexte, tout cela est bien curieux.
ACG
Légende André Gorz : vous reprendrez bien une dose de bourrage de crâne ?
Libération s’est fendu d’une double page pour présenter un bouquin consacré à André Gorz (alias Michel Bosquet dans les années 1960/70). Même chose dans l’Obs, dans une rubrique comiquement nommée « débats ». Pareil sur France Culture (faut pas lésiner). Même l’Humanité a glissé dans le fétichisme Gorzien (1). Et, pour ne pas être en reste, Le Monde Diplomatique y est allé de sa contribution.
http://planetaryecology.com/la-legende-andre-gorz/
Et vous, « anthropocène« , ça vous va ?
Au Cap, un sommet international passé presque inaperçu
L’Anthropocène est en passe d’être caractérisé comme une nouvelle époque géologique
Selon le groupe de travail sur l’Anthropocène réuni au Cap (Afrique du Sud) cette semaine à l’occasion du 35ème Congrès international de stratigraphie, l’époque de l’Anthropocène a bel et bien commencé. Il s’agit d’une époque géologique, dont le nom a été forgé par le géochimiste néerlandais Paul Crutzen et le géologue et biochimiste américain Eugene Stoermer. Pour la première fois en 2000, dans la newsletter de l’International Geosphere-Biosphere Program (IGBP), ces deux scientifiques évoquaient une situation inédite : le fait que l’Homme soit devenu une force géologique capable de modifier le cours des fleuves, les courants des océans, le climat et l’ensemble des éléments.
A leurs yeux, cet état de fait justifiait la nécessité de changer le nom de notre époque. Non plus l’Holocène, période interglaciaire commencée il y a 11.700 ans, mais l’Anthropocène, époque de l’Homme. En 2002, Paul Crutzen, dans un nouvel article, intitulé Geology of Mankind (Géologie du genre humain), publié dans la revue Nature, popularisait le terme. Et le géochimiste Will Steffen, alors président de l’IGPB, produisait une représentation saisissante de l’Anthropocène, sous la forme des courbes dites de la Grande Accélération : un ensemble de 24 graphes présentant en vis-à-vis l’accélération de la croissance économique et le dérèglement rapide de l’ensemble des cycles naturels depuis 1750. (…)
Les écologistes, ceux qui avaient été taxés de « catastrophistes » par les organisateurs de la catastrophe, avaient alerté à temps pour éviter ce qui est constaté aujourd’hui. Ils avaient aussi proposé une tout autre voie, celle du vivant et de la convivialité.
Semaine de la Terre avril mai 1971
Anthropocène… L’Homme ? Les hommes ?
Or, tous les hommes ne sont pas – et de très loin – responsables de la dégradation de la biosphère. La nouvelle gauche (new left) des années soixante-soixante dix (en particulier les écologistes qui étaient pour beaucoup dans sa dynamique), les peuples autochtones et la grande masse des appauvris par la globalisation, les paysans spoliés de leurs terres, de leurs vies, et les artisans, les petits commerçants, tous les ruinés, les condamnés au petit salariat ou au chômage, etc., sont englobés par l’expression anthropocène. Victimes, lanceurs d’alerte et responsables, tous mêlés ! Amalgame qui rejoint habilement la facilité de la généralisation, façon les gens… les hommes sont comme ci, les hommes sont comme ça… On voudrait nous faire perdre de vue comment nous en sommes arrivés là qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
Cet anthropocène résulte de l’intensification des productions et des fonctionnements nuisibles à la vie ; orientations décidées par des minorités réunies dans les capitalismes d’Etat et dans la conquête ultra-capitaliste mondiale durant « la grande accélération« . Celle-ci correspond exactement à la période de l’imposition du système impérialiste sur les hommes et l’ensemble vivant, avec le néo-libéralisme – bientôt ultra – pour principal moteur. Cela a donc été organisé, planifié, soutenu par des efforts propagandistes sans précédent pour qu’il y ait rupture avec la culture du bien commun, et empêcher que les lanceurs d’alerte, les victimes et les révoltés n’entravent la réalisation du programme, qu’ils ne nuisent à l’avènement de la dictature du profit. C’est l’histoire de la Guerre Froide avec, du côté occidental, le développement d’une machine de guerre culturelle qui a laminé les résistances traditionnelles et les nouveaux mouvements critiques – par exemple, le Congrès pour la Liberté de la Culture dont le siège était à Paris pour mieux contrôler le peuple de 36, de la Résistance et des grandes grèves d’après-guerre, puis de 68 (à sa tête, un certain Denis de Rougemont). D’ailleurs, anthropocène ressemble à s’y méprendre à une production de ce Ministère de la Vérité.
Les responsables de la dégradation de la biosphère étant les assoiffés de pouvoir et de profits, les capitalistes de tous bords, les promoteurs de la mutation néo-capitaliste, puis néo-conservatrice (les néo-cons), ceux qui se revendiquent de la culture anti-nature, une bonne appellation pour cette funeste période est bien plutôt capitalocène.
http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/01/15/nous-sommes-entres-dans-l-anthropocene-depuis-1950_4557141_3244.html#R7yrxhc0mPLB5zxO.99
L’article de Pierre Le Hir est, par ailleurs, excellent. D’autant qu’il souligne que la « prise de contrôle a commencé dans les années 1950 » avec la grande accélération.
Le FN n’a pas détruit le système politique, il s’est imposé dans sa décomposition
Les impasses d’un couple obscène
article paru dans Libération le 28 mai 2014
Le cycle politico-médiatique qui s’achève a été dominé par le tandem politique-médias classiques. La crise actuelle est la sienne
Contrairement à ce que suggèrent bien des commentaires ou la titraille des journaux, ce n’est pas «le triomphe du Front national [qui] dévaste le paysage politique français» (le Monde daté du 27 mai), c’est la déstructuration de ce paysage qui rend le mieux compte du succès du FN. Nous vivons le déclin, peut-être historique, d’une formule qui a vécu une bonne quarantaine d’années, et a assuré la sortie des Trente Glorieuses bien plus que l’entrée dans une ère nouvelle. Cette formule désormais à bout de souffle reposait non pas sur un seul type d’acteur, les partis, avec leurs élus, leurs responsables, les institutions où ils siègent, les militants, les sympathisants, les intellectuels organiques, mais sur deux : comment ignorer ici les médias classiques, avec leurs journalistes, leurs rédactions, leurs relations devenues souvent presque incestueuses avec la classe politique ?
Le cycle politico-médiatique qui s’achève a été dominé par ce tandem, la crise actuelle est la sienne. Ce cycle a été inauguré au début des années 70, quand se met en place un paysage politique structuré autour de deux forces.
A gauche, le Parti socialiste, à partir du Congrès d’Epinay (1971) entame la longue marche qui aboutira au succès de François Mitterrand à la présidentielle de 1981, en même temps que s’ébauche la décomposition du Parti communiste. Aujourd’hui, il ne suffit pas d’évoquer la personnalité ou le style de François Hollande, ni même les carences ou les difficultés de sa politique, le problème, chacun le sent, est beaucoup plus profond. Est en cause, en effet, une façon de penser et de faire la politique, sans proposition d’une visée à long terme, sans souffle, sans ancrage au sein de la population. Le Parti socialiste est épuisé idéologiquement, ses références imaginaires à la social-démocratie, elle-même bien à la peine dans les pays qui l’ont vue naître et réellement fonctionner, ne tiennent guère la route, et pas davantage la pensée magique qui veut que, comme par enchantement, l’économie doive entrer dans un cycle de retour à la croissance et d’inversion de la courbe du chômage. Les Verts, qui sont nés précisément au début du cycle qui s’achève, auraient pu et dû apporter à la gauche les utopies qu’ébauchaient des auteurs comme Ivan Illich (…), et la capacité d’inventer une autre façon de faire de la politique – le moins qu’on puisse dire est qu’ils ont déçu. La gauche de la gauche ne va guère mieux, qu’il s’agisse d’un Parti communiste devenu presque onirique ou d’une extrême gauche tournant au populisme.
A droite, les rivalités personnelles sans contenu politique, la longue torpeur qu’ont constituée les deux mandats de Jacques Chirac, puis les inconstances d’un Nicolas Sarkozy commençant son mandat par une ouverture à gauche, et l’achevant par des emprunts et des références appuyées aux thématiques de l’extrême droite aboutissent à des images comparables. Il n’y a à droite ni leadership affirmé, ni vision forte et tendue vers l’avenir. Le centre, qui n’est jamais qu’une version de la droite, ne se présente pas sous de meilleurs auspices.
Et à gauche comme à droite, de plus, la politique s’est déconnectée de la morale ou de l’éthique, mais aussi de l’efficacité économique et de la capacité à apporter des réponses protectrices à la pauvreté, au chômage et à la précarité. Bref, le système politique classique est sinistré, et aussi bien l’abstention que le vote FN sont venus le signifier. Un cycle semble s’achever, au fil duquel les eaux se sont séparées entre le corps social, ses attentes, ses espoirs, ses difficultés, et l’ensemble des partis en place.
Dans cette béance, le FN, né lui aussi au début des années 70 et resté longtemps groupusculaire, a trouvé les mots efficaces, s’est adressé aux «oubliés» et aux «invisibles» et a capitalisé les affects, les peurs, les demandes non entendues de pans entiers de la population. Il n’a pas détruit le système politique, il s’est imposé dans sa décomposition.
Mais s’en tenir à cette analyse, c’est laisser de côté la moitié du problème. Car le cycle qui, peut-être, se termine est aussi celui du fonctionnement du couple obscène que forme le système politique avec les médias classiques. On pourrait proposer une image «people» de ce couple, en dressant la liste des ménages qui l’incarnent ou l’ont incarné ces dernières années, jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. On doit surtout accepter de regarder en face ce phénomène.
Au début des années 70, dans la retombée de Mai 68, le système français des médias est entré dans une nouvelle phase, lui aussi. La télévision a commencé à se diversifier et à s’émanciper, la radio encore plus, la presse écrite a vu apparaître de nouveaux titres, à commencer par Libération. Et l’information politique a donné l’image de relations étroites entre les journalistes et les pouvoirs, et contre-pouvoirs.
Ces relations se sont densifiées, épaissies avec l’essor des dispositifs de communication, l’entrée en jeu des «communicants», la généralisation de l’usage d’«éléments de langage», l’importance des instituts de sondages.
Mais tout ceci est également en crise, tant Internet a changé la donne. Entre l’espace des médias classiques, en effet, avec les adjuvants qui viennent d’être évoqués, d’une part, et la sphère privée, d’autre part, Internet, les blogs, les réseaux sociaux ont créé un espace nouveau, indissociable d’une culture de la liberté d’expression, de la réactivité, de l’interactivité. La révolution numérique présente sa face d’ombre, elle autorise des manipulations inédites, comme le montrent l’affaire Snowden mais aussi le débat contemporain sur les «big datas», elle rend possible le déferlement de la haine raciste, xénophobe ou antisémite. Mais elle a aussi le mérite de rendre archaïques bien des pratiques abusives du couple médias classiques – acteurs politiques, d’imposer un autre rapport entre la population et ceux qui détiennent et diffusent l’information. Les médias classiques s’interrogent parfois, ou sont interpellés à propos de leur contribution au succès du FN : la question est mal posée, s’il s’agit de savoir s’ils en parlent trop, trop peu, ou mal. Car leur contribution est ailleurs : elle est dans leur perte de légitimité et leur début de disqualification dus à leur participation à un couple qui perd son hégémonie dans la parole et l’information politiques.
Michel Wierviorka
http://www.liberation.fr/france/2014/05/28/les-impasses-d-un-couple-obscene_1029118
Michel Wierviorka a bien raison de pointer le début des années 70 comme commencement du cycle de la décomposition du système politique. C’est bien le moment où le politique – le politique – a été littéralement saboté avec l’instauration des connivences politiciennes qu’il dénonce. Mais il a oublié – ou, peut-être ne le connaît-il pas – un volet essentiel : l’élimination de tous ceux qui proposaient l’alternative au système de la prédation sans limite et de la corruption généralisée – la nouvelle gauche écologiste, féministe, etc., l’autre culture qui proposait une restauration du politique et une autre civilisation. Son évocation d’Ivan Illich et des Verts (qu’il doit prendre pour des descendants de la nouvelle gauche) le démontre.
http://1.bp.blogspot.com/-NaqIYey_P_0/VfldxhiDwOI/AAAAAAAAGTk/xJEDjVfnQNo/s1600/%25C3%25A9closion%2Bcontrari%25C3%25A9e.png
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