2014 – Avec la sécheresse et la désertification, revient le temps des retenues d’eau

2014 – Avec la sécheresse et la désertification, revient le temps des retenues d’eau

…et l’occasion d’un nouveau chantage pour détourner le bien commun

billets de 2014 dans la tête à l’envers

sommaire

  • Les Bassines, ou retenues collinaires : l’exact contraire de la logique écologique
  • Sivens, le Gers et le Rajasthan
  • Retour à Sivens
  • Depuis le Clunisois, un regard sur Sivens

Les Bassines, ou retenues collinaires :

l’exact contraire de la logique écologique

Il y a des années et des années que je tente vainement de susciter un intérêt pour la spectaculaire restauration écologique et sociale menée au Rajasthan, dans la région de Alwar. Jusqu’à aujourd’hui, aucune des personnes ou associations se disant concernées ne m’a répondu. Comme presque toujours dans la France d’aujourd’hui.
Pourtant, l’exemple est passionnant…
http://www.youtube.com/watch?v=QfJEJxDRt1g

http://www.youtube.com/watch?v=rkslXYl8Fic&feature=related

http://www.dailymotion.com/video/xfpx5e_building-johads-to-revive-dead-rivers-in-rajashtan_tech

http://v.youku.com/v_show/id_XMTgwMTM2ODA0.html

Récemment, tout à fait par hasard, j’ai ouï parler de « retenues collinaires« , et c’est ainsi que j’ai appris le regain d’intérêt pour la solution que, sur la base de l’exemple indien, je proposais moi-même pour toutes les régions où l’eau est rare – ici même désormais. Mais s’agissait-il bien de l’équivalent des johads indiens ?

Intrigué, j’ai cherché plus d’informations sur ces « retenues collinaires« , ou « lacs collinaires« , et ce que j’ai vu est désolant. Est-ce la malchance, je n’ai vu que des informations trop partielles qui ne précisaient pas si les retenues présentées (en Tunisie, à Haïti…) réalimentaient bien les nappes phréatiques. Car les retenues indiennes, les johads permettent l’infiltration des eaux dans le sol. Rappelons que c’est le principal intérêt de la chose. C’est ainsi que des rivières indiennes asséchées ont recommencé à couler et que les campagnes ont repris vie. Accessoirement, cette remise en eau du sol permet d’éviter la salinisation des terres par l’irrigation de surface avec une eau puisée dans un bassin soumis à l’évaporation.

Par dessus tout, avant même de penser à réaliser des retenues, et même des retenues qui servent à réalimenter les nappes phréatiques, il serait intelligent de réviser complètement les « aménagements agricoles » – traduire : les destructions écologiques – faits ces cinquante dernières années, au moins : les asséchements de zones humides, les canalisations de rivières, les détournements dans des fossés anti-chars, les drainages (!), les destructions de bocages et de petits bois, etc. Toutes les malfaisances imaginables accompagnées d’une corruption galopante et du détournement des subventions pour les diriger contre le bien commun.

De Charybde en Scylla, la recherche, avec « retenues collinaires » pour mots clés, révèle l’existence de grands travaux destructeurs réalisés par des entreprises de travaux publics avec gros engins de chantier. Ainsi, la bonne idée des anciens et des indiens d’aujourd’hui a déjà été détournée par le capitalisme – sans doute avec, à la clé, privatisation de l’eau collectée. Car, le comble est que ces « retenues collinaires » industrielles, sans doute payées avec l’argent public, sont étanches ! Et l’on voit des bassins, aux pentes assez vertigineuses pour piéger tout animal venu boire, soigneusement recouvertes de « nappes géotextiles » pour que les nappes phréatiques ne profitent pas de la retenue.

Voilà peut-être la raison du silence profond qui a partout accueilli l’information que je propose…

Après les éoliennes disproportionnées du monopole énergétique, les retenues collinaires industrielles étanches pour le contrôle capitalistique de l’eau ?

Il est très clair qu’il ne s’agit pas là d’un travail de restauration écologique correspondant aux besoins de l’écosystème et des populations puisque les chantiers que j’ai vus sont très destructeurs, que l’eau est captée et que la réalimentation des sols est empêchée. C’est tout le contraire de ce que les indiens réalisent. C’est une nouvelle extension de la privatisation du bien commun qui commence.

Comme avec l’éolien détourné par les banques, l’Etat capitaliste et l’industrie, pour concentrer, monopoliser et augmenter le contrôle énergétique sur chacun et tous, voilà une autre technique douce en passe d’être sabotée et détournée au point de provoquer de nouvelles destructions.

Un combat pour éviter les destructions locales et la privatisation du bien commun

En complément voir et revoir Même la pluie, le film de Iciar Bollain présenté ci-dessous en janvier 2011
extrait :
Commencée à Cochabamba, la « guerra del agua » s’est poursuivie dans tout le pays et s’est étendue à d’autres menaces sur les biens communs. A La Paz, la population a éjecté les groupes Suez et Lyonnaise des Eaux, avant de faire de même avec le Président de la République Gonzàlo Sànchez de Lozada. « Même la pluie » est servi par d’excellents interprètes de personnages complexes, en particulier par Carlos Aduviri, alias Daniel, le figurant qui tout en jouant Hatuey, un héros de la résistance autochtone, se bat pour garder la maîtrise de l’eau. C’est le film qu’il fallait pour rappeler l’exemplarité de la lutte des amérindiens, une lutte exemplaire par sa force, son succès et son objet. Spoliation, privatisation, et détournement des communaux sont partout au coeur des stratégies du néo-libéralisme financier. De leur défense et de leur restauration dépend l’avenir de toute la planète.

Car, compagneros, la conquista continue.

ACG

Sivens, le Gers et le Rajasthan

14 novembre 2014

en collaboration avec Marc Laimé (http://www.eauxglacees.com/Sivens-le-Gers-et-le-Rajasthan)

L’affaire du barrage, contesté, de Sivens entre dans une nouvelle phase dans laquelle le combat va aussi porter sur l’appropriation, l’instrumentalisation, voire le détournement de concepts et données scientifiques complexes, parfois controversées. Qu’est-ce que l’irrigation, qu’est-ce qu’un barrage, une zone humide, une retenue collinaire ? Une gouvernance de l’eau dévoyée, un modèle d’aménagement du territoire dévastateur, l’emprise du lobby agricole productiviste dans le Sud Ouest, et l’effondrement du politique concourent à interdire tout débat démocratique autour d’enjeux de société majeurs. Bref éclairage sur le débat qui n’a pas lieu.

En une décennie, Rajendra Singh, qui incarne désormais cette révolution silencieuse, a transformé un désert en une oasis verdoyante, créant un véritable modèle mondial de préservation des ressources en eau, qui a permis de faire revivre plus d’un millier de villages, abritant près de 700 000 personnes.

Tout a commencé en 1987 dans le district d’Alwar dans l’état du Rajasthan, au nord-ouest de l’Inde. La plupart des villageois avaient abandonné des terres devenues arides et rejoint les villes.

C’est en construisant à la main des milliers de réservoirs en terre, permettant de récupérer les eaux de pluie, que le processus de désertification découlant d’une surexploitation des eaux souterraines a pu être enrayé.

Les habitants ont parallèlement lancé un programme de reforestation. Les arbres regagnent du terrain, les surfaces cultivables ont été multipliées par trois, les rendements agricoles par dix.

Lancé en 1987 par la petite ONG Tarun Bharat Sangh, le projet a mobilisé les villageois qui ont creusé des centaines de « johads », réservoirs en terre installés au bas des collines. Ils permettent non seulement de récupérer la pluie, mais aussi les eaux de ruissellement qui sinon se perdent en surface.

Dans un premier temps les puits se sont remplis, puis, après plusieurs années, les cours d’eau ont commencé à se reformer.

Dans chaque village un comité a été constitué pour veiller à la préservation des ressources. Dans la région d’Arvari, ils ont été fédérés au sein d’un « Parlement de la rivière », qui légifère sur l’utilisation de l’eau.

Il a décidé d’interdire la plantation du riz ou de la canne à sucre, qui exigent trop d’eau, de prohiber les pesticides, d’interdire d’utiliser l’eau à des fins industrielles, ou de vendre son terrain à une industrie.

En dix ans les paysans, autrefois condamnés à l’exode rural, ont vu le prix de leurs terres multiplié par 150. Ils produisent suffisamment pour exporter légumes et céréales dans toute la région. Asséchée depuis plus de soixante ans, la rivière Arvari est ressortie de terre en 1996, avant que quatre autres cours d’eau ne renaissent à leur tour, redonnant vie à des villages condamnés à l’abandon.

En quinze ans le projet s’est chiffré à 1,5 million d’euros. Le montant a minima des indemnités de licenciement que perçoit un capitaine d’industrie dans un pays développé.

Lire :

Restauration des écosystèmes, restauration des sociétés”.

par Alain Claude Burgevin Galtié

En Terre étrangère : les paroles et les actes

Le 20 novembre 2012, l’Agence régionale pour la protection de l’environnement (ARPE), outil du conseil régional Midi-Pyrénées, organisait un petit déjeuner à Toulouse. Sujet : la valeur économique de l’eau, autrement dit les “services” que rend la nature, par exemple, avec les zones humides, à la gestion quantitative et qualitative de l’eau.

Mr Marc Abadie, alors Directeur de l’Agence de l’eau Adour Garonne introduisait les festivités en évoquant l’article paru le jour même dans le quotidien régional “La Dépêche”, propriété de M. Jean-Michel Baylet, qui se félicitait de l’avis favorable rendu par la commission d’enquête publique sur le projet de « retenue “ de Sivens.

Souriante schizophrénie : d’un côté un discours sur la protection des zones humides, de l’autre le rapport de la commission d’enquête publique favorable à la “retenue” de Sivens, qui détruira la zone humide du Testet.

Les mêmes applaudissaient bien évidemment sans retenue (même collinaire), l’ode au retour à une « agriculture agronomique » qui permet aux sols de stocker de l’eau, comme le rappelait la Lettre de la SCOP Sagnes…

Monsieur Abadie, interpellé par ce que l’on ne stigmatisait pas encore à l’époque comme un “djihadiste vert”, avouait sans barguigner assumer cette schizophrènie :

On peut détruire une zone humide sans regrets s’il y a des compensations.”

Ceci au nom du réchauffement climatique et de l’augmentation de la démographie dans le Sud-ouest, de l’économie, avec le maïs irrigué, la production électronucléaire etc. “C’est la société qui veut ça.”

Le site de l’Agence de l’eau Adour Garonne présentait d’ailleurs fort opportunément à l’occasion l’exercice de prospective « Garonne 2050 » tout droit issu des cogitations des brillants cerveaux de la CACG.

Il présentait cinq scénarios. Quatre privilégiaient le stockage dans des retenues collinaires, plus ou moins selon l’évolution politique, et… selon la possibilité de recours à des financement publics…

Le cinquième, le scénario « Sobriété », entendre l’austérité, horresco referens, agitait le spectre de la crise subie.

Cette prospective était soumise à une consultation publique et devait servir à établir la revision du SDAGE, pour la période 2015-2018.

Du matraquage idéologique “mainstream” avec, à Toulouse, dans le gratuit du métro 20’, des articles de M. Abadie insistant sur l’obligation de s’adapter au réchauffement climatique, et d’augmenter pour ce faire… le stockage des hautes eaux d’hiver dans des retenues collinaires.

Peu avant un colloque “Eau et avenir durable des territoires” avait déjà martelé le même message les 26 et 27 novembre de la même année.

Noir Périgord

Dans le Gers, la retenue de La Barne, près de Ju-Belloc, est très similaire à celle de Sivens dans le Tarn. Elle a aussi ses détracteurs, et ses partisans, qui soulignent son importance pour la bonne santé du milieu aquatique.

Bien vivre dans le Gers, et d’autres associations, qui manifestaient fin octobre à Auch contre le barrage de Sivens, en profitaient pour souligner leur opposition au futur barrage de La Barne.

Placée sur un ruisseau, la Barne, qui se jette dans l’Arros, affluent de l’Adour, le projet, en voie d’achèvement, va s’étendre sur 20 hectares et permettre la retenue de près d’un million de m3 d’eau, derrière une digue de 15 mètres de hauteur tout juste achevée un mois plus tôt.

« Ce barrage doit coûter 2,7 millions d’euros, tempêtait Sylviane Baudois, la secrétaire de Bien Vivre dans le Gers, et fait partie de la dizaine de barrages prévus dans le département ! Ces projets vont coûter dans les 100 millions d’euros au contribuable, et ne tiennent pas la route. Nous demandons avant leur poursuite qu’une commission indépendante juge leur utilité. »

Cible des opposants, l’Institution Adour et l’Établissement public territorial de bassin de l’Adour (Eptb) dirigé par 20 conseillers généraux qui ont la maîtrise d’ouvrage.

« Ces barrages ne servent qu’à une agriculture intensive, et tous les contribuables vont payer pour elle. »

Les barrages gersois ne sont en réalité pas… des barrages, mais des « retenues » : les barrages « barrent » un cours d’eau, quand la retenue est creusée non loin de celui-ci pour être remplie par les pluies.

Ces retenues, clament leurs promoteurs, ne servent pas qu’à l’agriculture. Et celle de la Barne ne fait pas exception.

« Elle fait partie des projets prioritaires de l’Institution Adour d’ici 2021, précisait à la Dépêche Bernard Malabirade, président de la FDSEA 32. Et son but premier, c’est l’étiage de l’Adour. »

L’étiage correspond au point le plus bas atteint par un cours d’eau. « 30 % au minimum des capacités de la Barne sont destinés à la salubrité. Et ça peut monter à 80 %, lorsque la sécheresse frappe. On ne rajoutera pas un hectare de surface irriguée autour de ce lac. Il est faux de dire qu’il ne va servir qu’à l’agriculture. »

Même son de cloche du côté de la chambre d’agriculture du Gers. Celle-ci, en lien avec l’Institution Adour, gère pour l’État les volumes prélevables du bassin de l’Adour. Une véritable délégation de service public, qui impose la construction de retenues !

« Un tel ouvrage a toujours plusieurs rôles, expliquait Henri-Bernard Cartier, président de la Chambre d’agriculture. Celui d’irriguer, mais c’est loin d’être le seul, et dans le futur, ce sera peut-être bien secondaire ! Une retenue régule l’étiage, permet d’assurer la salubrité en aval. Actuellement, avec l’arrière-saison sèche, sans les lacs de retenue, l’alimentation en eau du Gers poserait un problème. Le contrôle de l’étiage, c’est aussi l’assurance de préserver le débit biologique des cours d’eau. Sans cela, plus de vie aquatique. »

Un étiage faible entraîne la concentration de tous les toxiques contenus dans les cours d’eau. L’eau réchauffe également plus vite, au détriment des espèces aquatiques.

Francis Daguzan, le vice-président du conseil général en charge des questions hydrauliques, le reconnaissait sans détours : « Il manque 10 millions de m3 pour sécuriser l’étiage. Et il faut pour cela 10 retenues de plus. C’est le fruit des études déjà menées ». Et d’évoquer les problèmes récurrents concernant l’alimentation en eau potable, jusqu’à l’année 1989, où un accord avait pu être établi.

« Depuis, on a corrigé. L’économie – et sur ce plan, dans le Gers, l’eau ne concerne que l’agriculture – passe après le milieu naturel et la salubrité. »

Invention remarquable du Parti du maïs, qui préside à tout ce qui peut se présider dans le Sud-Ouest, la « salubrité », concept hors-sol gravé dans le marbre des murs (en brique rouge) de l’Agence Adour-Garonne exprime une notion qui dépasse la seule hygiène.

La « salubrité » pour un bassin, c’est en premier lieu la régularité des débits. Ainsi le SDAGE lancé en 2000 et approuvé en 2009, en fixe les contraintes. Un bassin comme l’Adour, qui dépend de la fonte des neiges pyrénéennes, serait régulièrement à sec, sans les lacs artificiels.

Ils ont pour rôle de maintenir l’étiage des différents cours d’eau, pour permettre d’alimenter les urbanisations en eau potable, mais aussi pour préserver le milieu.

Et cela bien au-delà des frontières du Gers : le département a ainsi obligation d’assurer un débit minimum dans la Garonne.

Et c’est ainsi qu’Allah, et Maïsadour, et la CACG… sont grands !

Retour à Sivens

Dans ce contexte, on ne sera dès lors pas surpris d’apprendre, en consultant le désormais fameux « Rapport d’expertise du CGEDD », qu’il y a eu étude d’impact, enfin une étude allant jusqu’à identifier les différentes espèces et reconnaître « la présence d’espèces protégées et d’habitats protégés ». Il a même été envisagé une « compensation » avec un coefficient autour de 2, et la restauration de certains tronçons aval. Il y a eu consultation de la fameuse Autorité Environnementale, etc.

Avec pour résultat, pour finir, comme on le sait, l’anéantissement.

Second enseignement, qui prend forme très vite : cette histoire de « compensation » relève d’une culture impérialiste qui a supprimé toute l’intelligence sensible (Donald Worster « Les pionniers de l’écologie », titre originel : “Nature’s Economy »).

Ici, on détruit des habitats originaux et une quantité indéterminée de vies, donc tout un ensemble si complexe que l’on ne peut le comprendre tout à fait, et sûrement pas le déplacer ou le reproduire. Cependant, les technos prétendent bien évidemment en reconstituer l’essentiel… Aussi simple que les vases communicants. Vision de pure réduction mécaniste ! Ecologie Potemkine.

Puis, une interrogation. Le rapport du CGEDD ne précise nulle part si l’ouvrage (le « réservoir de stockage d’eau ») est seulement conçu pour l’irrigation classique, ou s’il a été pensé aussi pour réalimenter la nappe phréatique, donc si son fond devait être étanche ou non.

Aucune trace de ce distinguo dans l’expertise rendue publique en octobre dernier. C’est, pourtant, une caractéristique extrêmement importante.

On découvre en effet aisément, à l’occasion, que les « retenues collinaires » sont réalisées avec un fond étanche…

Or le grand intérêt des « retenues collinaires » et autres « Johads », comme nous l’avons vu au Rajasthan, c’est de retenir l’eau pour alimenter les nappes phréatiques, afin que cette régulation de l’eau bénéficie à tout l’environnement, pas de permettre de faire de l’irrigation avec des pertes colossales par évaporation et salinisation…

En cherchant encore un peu, nul besoin pour ce faire d’être Ingénieur des Ponts et des Eaux et forêts, on vérifie qu’il était prévu une étanchéité avec lit d’argile déposé à Sivens, d’où le grattage et le dessouchage intégral du fond de la retenue, brutalement ordonné par le Conseil général du Tarn, sous la protection des forces de l’ordre, et qui s’est terminé comme on sait.

Ici on oublie que la nature se satisfait à elle-même, et que l’intervention de l’homme ne fera, dans le cas présent, qu’accroître les problèmes à venir.

Car la mise en place d’un fond argileux va limiter les échanges avec la nappe existante et, à terme, risque de faire disparaître la dite nappe.

Ici tout le monde semble avoir oublié de s’interroger : quels seront les impacts de l’imperméabilisation sur les écosystèmes proches qui en dépendent, notamment forestiers ? Comme sur les autres usages à partir de la nappe « en bon état » ?

L’aménagement projeté risque bien à terme d’être plus préjudiciable que le non aménagement vis à vis de la ressource en eau, lors même qu’il existe d’autres moyens pour compenser le manque d’eau, comme le maintien, et le développement d’un couvert forestier, ce qu’on appelle l’agroforesterie, qui est désormais officiellement soutenue par le ministère de l’Agriculture de M. Stéphane Le Foll…

Le rapport d’expertise précité précise en effet l’importance d’un décapage soigné du fond, et que 43 000 m3 de matériaux devront être importés…

Un schéma voisin donc pour le « barrage » de Sivens, que celui des « retenues collinaires », qui sont installées dans des talwegs. Ainsi pour les retenues de substitution, appelées « bassines » que la CACG, encore elle, a massivement implantées en Poitou Charentes, c’est avec des géomembranes, genre Bidim, posées entre deux géotextiles, qu’est assurée l’étanchéité.

Sivens c’est plus qu’un talweg, mais un vallon déjà « formé » géomorphologiquement, et vu sa taille le coût du Bidim semble difficile à justifier.

Au final, la dimension du projet et, surtout, sa substitution à une zone humide le trahissaient. L’étanchéification du fond achève le tableau. Ces retenues n’ont aucun rapport avec la restauration écologique qui est l’objectif des « johads » indiens et autres techniques de réalimentation des nappes phréatiques et de régulation des étiages par infiltration et non par lâchages ! Affligeant.

L’objectif est ici clairement le détournement du bien commun. L’eau de pluie qui doit profiter à toutes les vies, à « l’économie de la nature », est détournée et privatisée par une forme d’économie si réductionniste qu’elle vit au détriment du bien commun de l’écosystème.

Que deviendrait la nappe phréatique avec ce projet ? La zone humide qui contribuait à l’alimentation de celle-ci une fois supprimée, l’eau détournée et largement évaporée… Le niveau de la nappe ne risquerait-il pas de baisser, rendant (pour les mécanistes), plus nécessaire encore les retenues étanches et l’irrigation ? Etc.

Cela a-t-il été étudié ? La « compensation » prévoit-elle l’alimentation de la nappe ?

Le fameux rapport d’expertise n’évoque même pas la nappe phréatique, mais seulement « l’aquifère » pour dire que l’existence des zones humides résulte de la présence d’un aquifère temporaire (?), etc. (page 8).

Cet « aquifère » n’aurait-il pas de rapport avec la nappe phréatique qui dépend beaucoup des zones humides ? L’alimentation de la nappe phréatique par les zones humides n’a ainsi été envisagée que très légèrement…

Ainsi le rapport d’expertise semble-il oublier la nappe phréatique, n’établissant de rapport qu’entre l’agriculture et l’irrigation. De même, le « soutien d’étiage » semble ne dépendre que des lâchages superficiels…

L’ensemble de l’approche apparaît dès lors de plus en plus superficielle, ne se préoccupant que des eaux de surface, un peu comme si une étude botanique oubliait les racines…

Si l’on s’intéresse par exemple aux systèmes d’épandage de crues (« spate irrigation » en anglais), comme alternative à l’irrigation par pompage au Sahel, on affronte un contexte difficile où, avec les villageois et les nomades, on raisonne l’inféro-flux, la nappe alluviale, la ripisylve et les berges, lit mineur et lit majeur, les débits solides, le colmatage et la construction des sols alluviaux et des dépôts limoneux cultivables… la nappe phréatique et l’aquifère étant toutes autres choses.

Mais les ingénieurs, la DREAL, le CGEDD, la CACG… raisonnent le milieu en termes de tuyaux.

Quant à Manuel Valls, il a déclaré à la télévision que le barrage de Sivens servirait, aussi, à alimenter Montauban en eau potable !

Sortir de l’impasse de Sivens ? Stage obligatoire de 12 mois au Mali et au Rajasthan pour Ségolène Royal, Manuel Valls, Thierry Carcenac, le Préfet du Tarn, et tous les IGREF !

1 Sivens, le Gers et le Rajasthan

réactions

Cher monsieur, vous faites référence ici au dogme central (breveté SGDG) de la doctrine CACG (Compagnie d’Aménagement des Côteaux de Gascogne) qu’elle n’a pas pu revendre à d’autres jusqu’à présent en raison de son caractère hydropolitique local-régional : à savoir le DOE -Débit Objectif d’Etiage-. Je vous suggère de vous reporter à la théorisation de cette notion qu’en ont fait les « experts-maison » (donc auto-proclamés) de la CACG. Il serait temps de clarifier cette affaire si une quelconque académie de l’eau existait en ce pays. Salutations distinguées.

poste par Luigi_34 – 2014-11-14@23:40 – Répondre à ce message

2 Sivens, le Gers et le Rajasthan

Merci pour ton texte, toujours très stimulant. Il y a une critique des « technos » qui peut faire débat. On est 65 millions dans une France industrielle et urbanisée, donc à un certain degré tout est « techno » dans la gestion de ce monde-là par la norme et la réglementation. Même quand il se pique de se pencher sur le vivant et la nature, ce monde sécrète une biopolitique, une hydropolitique, une climatopolitique, etc. qui n’a plus rien à voir (et qui a de toute façon oublié) avec des expériences d’un monde ancien disparu, monde ayant moins d’impacts car pas la même démographie ni la même économie ni la même technologie. Tout cela se présente grosso modo sous les atours d’une rationalité instrumentale travaillant par optimisation de l’atteinte de ses objectifs (ici objectif supposé = équilibre des reproductions du grand cycle et des usages du petit cycle). Donc, du surdiplomé de la DEB au Ministère au technicien de syndicat de rivière, l’hydrocratie fait en effet de la « gestion de tuyau »… sans qu’on sache trop ce qu’elle pourrait faire d’autre (c’est d’ailleurs une tuyocratie). Ah si, elle fait aussi de la gestion de lobbies, ce que ton livre a décrit très efficacement, vu que les tuyaux deviennent un enjeu de propriété, même dans le grand cycle. Des concepts comme l’ »ingénierie écologique » ou la « renaturation » sont assez symptomatique de ce nouvel horizon, y compris de ses aspects borderline (le système forme aux mêmes écoles des experts qui dénaturent et des experts qui renaturent, au bout d’un moment c’est comme un film de Lynch, on ne sait plus trop si ce ne sont pas les mêmes qui mènent des vies parallèles !).

poste par CF21 – 2014-11-15@07:36 – Répondre à ce message

3 Sivens, le Gers et le Rajasthan

Bonjour,

Hier soir, j’ai pris part à une soirée-débat organisée par Alternatiba/ATTAC/France Libertés. J’ai pu y découvrir l’expérience du Rajasthan que vous présentez dans votre billet [où le lien vers l’article d’Alain Claude Burgevin Galtié n’est pas opérant]. Lors de cette même réunion, il fut question d’une expérience slovaque inspirée par le même esprit et dont il est fait état là : http://www.waterparadigm.org/indexe… . Je n’ai pas encore eu le temps d’explorer ce site : le connaissiez-vous ? Qu’en pensez-vous ? Cordialement.

poste par loulou – 2014-12-3@11:32 – Répondre à ce message

4 Sivens, le Gers et le Rajasthan

Bonjour,

Je vais réparer le lien devenu inactif, et pour le reste il y en a effectivement un autre avec la manifestation que vous évoquez.

Bien cordialement.

poste par Marc Laimé – 2014-12-3@17:32 – Répondre à ce message

5 Sivens, le Gers et le Rajasthan

Encouragé par votre réponse, je reproduis ici un extrait de ce travail afin de montrer son ambition : « This work is not founded on new, revolutionary knowledge ; its newness arises more from thinking through existing knowledge to its logical consequences. Despite this fact, we are convinced that it is a pioneering work, that it fundamentally changes water-management practice and may be a great inspiration for further research and for the scientific community… If the alternative view presented in this publication is correct, it opens the possibility of a constructive solution to many of the problems associated with climatic changes. The plan for saturating the small water cycle through the conservation of rainwater on land is, from the point of view of the authors of this publication, a revolutionary solution to the given problems. »

poste par Loulou – 2014-12-5@12:

Depuis le Clunisois, un regard sur Sivens

Références : l’étude d’impact du « Projet de la création de la retenue d’eau de Sivens, commune de l’Isle-sur-Tarn » (Préfet de la Région Midi-Pyrénées – juillet 2012)
et l’ »Expertise du projet de barrage de Sivens » (Conseil Général de l’Environnement – octobre 2014)

Dès le préambule de l’étude d’impact (p. 2), l’évocation de l’autorité environnementale nous rappelle qu’à Saint Gengoux le National (1) le collectif de sauvegarde de l’eau et de l’environnement vient tout juste d’apprendre l’existence de cette entité régionale en découvrant qu’elle s’était penchée amoureusement sur un petit ruisseau à 5 kilomètres de la tête de bassin versant oubliée de tous.

1ère constatation :


Au moins, pour Sivens, il y a eu étude d’impact, enfin une étude allant jusqu’à identifier les différentes espèces et reconnaître « la présence d’espèces protégées et d’habitats protégés« . Il a même été envisagé une compensation avec un coefficient autour de 2 et la restauration de certains tronçons aval. Il y a eu consultation de la fameuse Autorité Environnementale. Etc.

A Saint Gengoux le National, pas l’ombre d’une étude. Que des mensonges et des dissimulations. L’histoire de la cité médiévale et ses plans ? Effacés. L’histoire des crues ? Effacée. La mémoire des vivants ? Anéantie. L’existence historique du ruisseau ? Niée. La nappe phréatique ? N’existe pas. La Loi sur l’Eau et le Code de l’Environnement ? Le préfet a déclaré qu’ils n’étaient pas compétents en l’affaire.

Deux méthodes que tout semble opposer, un même résultat : l’anéantissement. Nous sommes bien dans en France où, depuis pas mal d’années déjà, on se demande de plus en plus ce qui peut bien servir à quelque chose.

2ème constatation qui prend forme très vite :


Cette histoire de compensation relève vraiment d’une culture impérialiste qui a supprimé toute l’ouverture sensible indispensable à la compréhension du vivant.

Ici, on détruit des habitats originaux et une quantité indéterminée de vies, donc tout un ensemble si complexe que l’on ne peut le comprendre tout à fait, et sûrement pas le déplacer ou le reproduire. Cependant, les technos prétendent reconstituer l’essentiel là… Aussi simple que les vases communicants. Vision de pure réduction mécaniste ! Ecologie quantitative de papier.

3ème observation :

Nous n’avons vu nulle part si l’ouvrage (« réservoir de stockage d’eau« ) est seulement conçu pour l’irrigation classique ou s’il a été pensé aussi pour réalimenter la nappe phréatique, donc si son fond devait être étanche ou non. Même pas vu dans l’expertise d’octobre. C’est, pourtant, une caractéristique extrêmement importante.

Nous avons, en effet, eu la surprise de découvrir que des « retenues collinaires » sont réalisées avec un fond étanche… mais peut-être ne s’agit-il que de celles destinées aux stations de sports d’hiver ou à la lutte contre l’incendie ?
http://photostp.free.fr/phpbb/

Car le grand intérêt des « retenues collinaires » et autres johads (en Inde, ci-joint), c’est de retenir l’eau pour alimenter les nappes phréatiques par infiltration, afin que cette régulation de l’eau bénéficie à tout l’environnement, pas de permettre de faire de l’irrigation avec pertes par évaporation, et salinisation (et, sans doute, privatisation de l’eau).

Mais, pour Sivens, la contre-expertise précise le décapage soigné du fond et que 43 000 m3 de matériaux « devront » (!) être importés.

C’est ce que nous redoutions ! La dimension du projet et, surtout, sa substitution à une zone humide (!) le trahissaient. L’étanchéification du fond achève le tableau. Ces retenues n’ont aucun rapport avec la restauration écologique qui est l’objectif des johads indiens et autres techniques de réalimentation des nappes phréatiques et de régulation des étiages (par infiltration et non par lâchages !). C’est affligeant.

Là, clairement, l’objectif est le détournement du bien commun. L’eau de pluie qui doit profiter à toutes les vies, à « l’économie de la nature« , est détournée et privatisée par une forme d’économie si coupée des autres, de la biosphère, et si réductionniste qu’elle vit au détriment du bien commun (de l’écosystème).

Que deviendrait la nappe phréatique avec ce projet ? La zone humide qui contribuait à l’alimentation de celle-ci une fois supprimée, l’eau détournée (loin ?) et largement évaporée… le niveau de la nappe ne risquerait-il pas de baisser, rendant (pour les mécanistes) plus nécessaire encore les retenues étanches et l’irrigation ? Etc.

Cela a-t-il été étudié (pas vu) ? La « compensation » prévoit-elle l’alimentation de la nappe (pas vu) ?

Nous n’avons même pas vu évoquer la nappe phréatique, seulement « l’aquifère » pour dire que l’existence des zones humides résulte de la présence d’un aquifère temporaire (?), etc. (page 8). Cet « aquifère » n’aurait-il pas de rapport avec la nappe phréatique qui dépend beaucoup des zones humides ?

Il semble que l’alimentation de la nappe phréatique par les zones humides n’a pas été bien envisagée.

Même la contre-expertise semble oublier la nappe phréatique, n’établissant de rapport qu’entre l’agriculture et l’irrigation. De même, le « soutien d’étiage » semble ne dépendre que des lâchages superficiels. Rien sur l’infiltration-percolation.

L’ensemble de l’approche apparaît de plus en plus superficielle, ne se préoccupant que des eaux de surface, un peu comme si une étude botanique oubliait les racines…

Aurions-nous raté quelque chose ?

ACG pour le Collectif de sauvegarde de l’eau et de l’environnement de Saint Gengoux le National

(1) L’eau perdue de Saint Gengoux le Royal – l’engrenage exemplaire de la dégradation du bien commun

première partie : le Ruisseau de Nolange

https://renaissancerurale71.wordpress.com/

L’eau perdue de Saint Gengoux le Royal – seconde partie

Un nouveau concept à St Gengoux : le johad-terrain à bâtir

« le terrain n’est pas traversé par un ruisseau » (le permis de construire signé par tous),
« pas de surfaces relevant de la problématique zones humides » (la DDT et le préfet)…

Les mêmes quelques années plus tard : tous alarmés par la sécheresse qui croît, qui croît…