La Grande Casse
La Grande Casse
De l’alerte écologiste aux effondrements
chapitre 4
Dans la nasse
Des agressions premières à l’effacement final
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Dans la nasse
Machine de guerre du néocapitalisme pour affaiblir toutes les populations et accroître sans limite le niveau de l’exploitation en dérégulant et déstructurant, la « grande distribution » était naturellement l’un des principaux ennemis du mouvement écologiste. Puisque les écologistes voulaient réintroduire le vivant – de chaque être à l’ensemble – dans la philosophie politique, le droit, l’économie, donc restaurer des régulations effacées et les renforcer, et que la politique de dérégulation (justement), de concentration et de massification comprenant l’essor de la « grande distribution » les alarmaient, il fallait les faire taire, ou couvrir leurs voix avant qu’ils soient reconnus. L’ouverture offerte par Michel Bosquet/Gorz* à un rejeton du lobby dans des media à prétention écologiste dévoile l’un des procédés employés : la substitution (comme aux Amis de la Terre). Le tour de passe-passe était d’autant plus efficace que, dès l’origine comme avec le Courrier de la Baleine, ces media à prétention écologiste étaient inaccessibles aux écologistes. Quant à l’entrée du fils Leclerc dans l’équipe de Que Choisir ?, journal d’une association de consommateurs… Là, chacun peut apprécier la politique du loup dans la bergerie appliquée par le futur Gorz, donc la nature du culte de celui-ci et de ceux qui l’accompagnaient.
* merci à Michel-Edouard Leclerc pour la confirmation du rôle de Bosquet dans la coulisse des Amis de la Terre
1960-1975 : la légende André Gorz, par ACG
La légende André Gorz
Dès 1971, la censure complétait la fragilisation. Une censure dont nous ne pouvions avoir aucune idée puisque même les journalistes que nous croyions connaître faisaient partie des organisateurs de la cabale. Même si nous avions été vraiment alarmés, nous n’aurions pas pu alerter ! Mais nous ne l’étions pas encore. La double contrainte faisait pleinement partie de la manipulation : aux agressions avaient à nouveau succédé les sourires et les caresses. Aussi, malgré les contrariétés, l’image « de gauche » de ces Messieurs-Dames nous rassurait plutôt. Ils s’étaient sûrement trompés, ils avaient agi sans réfléchir, mais ils allaient revenir de leur erreur. Nous allions attendre longtemps. Jamais l’un d’eux ne témoignera – sauf pour se vanter et provoquer encore. Mais jamais l’esquisse d’une prise de conscience !
Alors, après quelques discussions animées où tout fut dit, nous nous sommes contentés de considérer la descente des Quarante Voleurs comme nulle et non avenue. Au fond, nous ne voulions pas croire aux soupçons qui grandissaient. En n’essayant pas de soulever le rideau de coulisse, en évitant le conflit déjà déclaré, nous avons choisi de nous protéger. Et puis, très longtemps, j’ai même cru que nos agresseurs finiraient par se rendre compte de leurs erreurs et s’amenderaient. Car, enfin, c’était trop gros, trop insensé. Cela ne devait être qu’un faux pas, une méprise sans lendemain. L’une de ces crises nerveuses dont les gauchistes semblaient coutumiers. Pour nous, un acte aussi stupide ne pouvait pas gêner un mouvement vital ! Et puis, nous devions rester concentrés sur la prise de conscience. Ces niaiseries ne devaient pas nous atteindre.
Bien sûr, avec le recul, il est évident que nous avons été beaucoup trop imprudents. Mais comment aurions-nous pu imaginer que cela n’était qu’une première manifestation spectaculaire d’un programme de longue haleine destiné à gommer les alertes et les résistances ? Comment aurions-nous pu imaginer la perversité qui, déjà, nous enserrait ? Impossible. Nous n’avions pas été préparés pour affronter pareil déversement d’ordure. Une telle abjection n’appartenait pas à notre monde – sinon nous n’aurions été ni lanceurs d’alerte, ni proposeurs d’alternatives. Mais c’est aussi avec cette agression, que nous avons commencé à apprendre la défiance. Cela n’allait pas de soi. La bienveillance et la confiance accompagnaient l’ouverture écologiste. Naturellement. Elles avaient la force de principes politiques inspirés par l’expérience du vivant libérée de la domination. Elles fondaient la démocratie que nous proposions de restaurer pour annihiler le pouvoir des prédateurs.
Après la défiance, ces charmants compagnons allaient apprendre à tous le mépris et la haine. Toute la société allait en être affectée, car les saboteurs des mouvements sociaux n’allaient cesser de devenir plus mauvais, plus nuisibles, au fur et à mesure de leur « réussite« . Même complètement embourgeoisés (en fait, ils l’étaient déjà), ils allaient rester fidèles à leurs chers maîtres à penser, de Lénine à Mao, en ne cultivant que le ressentiment – en quelque sorte inversé – et le conflit. La résilience est inconciliable avec leur structure mentale. Depuis, à la morgue initiale, ils ont ajouté la fureur d’avoir été découverts.
Et, bien sûr, personne ne nous a aidé à prendre conscience de la supercherie. Il est vrai qu’à l’époque nous étions assez seuls. Le mouvement foisonnait partout, mais à part les contacts avec Survivre et Vivre* et Pollution Non, nous ne connaissions guère d’autres groupes écologistes; en tout cas, nous ne nous rencontrions pas. Ou, plus exactement, certains s’interposaient déjà pour limiter ces contacts (comme avec Charbonneau et quelques autres tout aussi manipulés que nous). De toute façon, ultérieurement, avec le retour à grandes enjambées de la culture arriviste, puis le culte socialiste des « gagneurs« , peu nombreux seront ceux qui réagiront au récit de la sauterie du Pré-aux-Clercs et des autres manipulations. Incapacité à y voir une anomalie, à en deviner les conséquences ? Inaptitude à mesurer l’étendue des tartuferies révélées ? Désarroi devant l’énormité de l’imposture ? Accoutumance aux tripotages et au viol de la démocratie ? Soumission à la domination ? Ou simple corruption ?
* par l’intermédiaire de Jean Detton et Hervé le Nestour qui faisaient la navette entre tous.
La pantomime galonnée était pour nous à la fois ridicule et scandaleuse, mais la diligence des réseaux complices allait en démultiplier l’impact en changeant l’imposture en acte démocratique. Comme une seule plume, les « journalistes de l’environnement » allaient afficher leur connivence avec les violeurs sociaux en diffusant une falsification qui impressionnera à l’extérieur du mouvement, là où nous n’aurons bientôt aucun moyen de savoir ce qui se passe.
Les journalistes avaient donc été sélectionnés pour donner toute satisfaction à leurs maîtres ; et cela, au moins depuis 1968. Étant arrivés à l’action politique sans être passés par les luttes de pouvoir, nous ne pouvions imaginer pareille escroquerie et semblables avilissements. Le rôle déterminant des journalistes tend à relativiser celui des gauchos-féministes qui ont aidé à la manoeuvre. En effet, on peut douter que ceux-ci… enfin, que tous aient bien compris les intentions de ceux qui leur avaient passé commande. Excepté les petits-chefs trempant dans les magouilles politiciennes, comment auraient-ils deviné que leur chahut d’un soir allait être si puissamment et si longtemps relayé, au point de changer le cours de l’histoire en favorisant l’installation de l’ultra-capitalisme et le développement des destructions massives qui nous alarmaient. Par contre, les « journalistes de l’environnement » (JNE) qui nous faisaient risette depuis plusieurs années savaient parfaitement ce qu’ils faisaient. Leur contribution évidente rappelle le rôle de leurs confrères dans le Comité pour l’information publique (dite Commission Creel), le conseil propagandiste créé pour faciliter l’entrée en guerre des USA en 1918.
Nous croyions que l’ouverture au monde stimulant la prise de conscience du bien commun était irrésistible, et nous découvrions tout à coup une imposture dont l’étendue semblait sans limite.
Pascal Durand publiera une analyse sur le sujet en 2006 : « La censure, aujourd’hui, n’est plus que rarement l’interdiction d’un texte ou d’un message ; elle est bien davantage imposition non sentie d’écrire et de parler en un certain sens. Les médias, l’édition, la phraséologie politique ou économique, tels sont quelques-uns des lieux d’exercice de cette « censure invisible », qui échappe aux vigilances les mieux armées. (…) La première avance sans masque ; la seconde, masquée. L’une impose, édicte, exige, galvanise ; l’autre inculque, dicte silencieusement, suggère. L’une affirme sans nécessairement convaincre ; l’autre convainc sans avoir besoin d’affirmer. L’une se passe du consentement de celui auquel elle fait violence ; l’autre produit, sans violence, le consentement dont elle a besoin pour agir. » (Pascal Durand, La censure invisible, Actes Sud 2006).
Les écologistes ont fait l’expérience des différentes formes de censure, mais aussi de l’étape préparatoire, directe et violente – totalitaire : celle du chapeautage et du musellement des lanceurs d’alerte, des militants, des groupes de base et des associations (entrisme), puis de leur remplacement par des faux-semblants (substitution), voire de leur élimination à vie (effacement). Bien que peu subtile, spectaculaire même, celle-ci reste ignorée de la plupart, car la censure invisible prend immédiatement le relai pour effacer toutes les traces et produire « sans violence, le consentement dont (la caste dominante) a besoin pour agir« .
Les violences anti-écologistes et les censures d’il y a cinquante ans et plus annonçaient toutes celles qui allaient suivre. C’est par ces manoeuvres initiales que les prises de conscience et les mouvements sociaux sont privés de leurs forces vitales, privés de leur histoire, désorientés, affaiblis et rejetés dans l’oubli. Après vient le temps des récits falsifiés qui parfond l’effacement en changeant l’histoire.

à l’époque où était lancé le sabotage, c’était encore un spectacle courant
Mais qui étaient donc les heureux « élus » des féministes d’Eaubonne, de l’AMR, du PSU, du Nouvel Observateur, etc. ? Le couple des nouveaux. Le couple qui ne pouvait dissimuler son contentement de nous voir mis en difficulté par les gauchistes. Un degré de plus dans le ridicule.
Pour « trésorière« , la pantomime avait adoubé Lison de Caunes. Lison était de bon milieu bourgeois. Nous n’y prêtions aucune attention, mais cela allait se révéler très important. Elle était la fille du Georges de la télévision. Maman était Benoîte Groult. Cela aussi nous ne l’avons pas su avant longtemps. Benoîte Groult, féministe cela va sans dire, mais féministe des salons parisiens. Un rapport avec l’engagement à contre-courant de Françoise d’Eaubonne ? Les connivences bourgeoises auraient-elles effacé toutes les logiques de l’engagement, et la cause elle-même ?
Il faudra attendre encore davantage pour apprendre l’intimité de maman avec le parrain français des meilleurs ennemis des écologistes et, d‘ailleurs, de tout le mouvement de l’éveil et de l’émancipation : François Mitterrand. Que de troublantes coïncidences !
Lison de Caunes, l’une des actrices du guet-apens du 23 juin 1972, et l’une de ses bénéficiaires… Quel meilleur témoin ? Une que l’on ne peut soupçonner d’alourdir le trait pour mieux décrédibiliser les zozos qu’elle accompagnait.
8 ans plus tard, elle allait écrire : « Nous militions dans une petite association qui venait de se créer, découvrions les maîtres à penser de cette toute nouvelle science, le nucléaire et ses tentacules, la pollution, l’importance des biotopes et les potagers biologiques. Après quelques mois d’apprentissage il est devenu président, moi trésorière, (chacun à sa place, non ?). Lui le grand oeuvre, moi l’organisation souterraine. Lui le général, moi l’intendance » (Les jours d’après, Lison de Caunes, Jean-Claude Lattès 1980). Le général s’appelait Brice Lalonde.
Tombés d’une autre planète ! Une planète sans jardins et sans biotopes. Mais avec hiérarchies. Tombés aussi d’un autre siècle.
L’ignorance de l’alerte écologiste, l’ignorance de tout ce qui l’avait déclenchée, l’ignorance de l’écologie, donc l’ignorance de la culture politique du mouvement, mais l’invention de maîtres à penser (!?), et l’inconscience qui ne modère pas l’infatuation. Et encore cet aveu ingénu de la soumission à la domination machiste… Une phallocrate qui s’ignorait ? Heureusement que la maman de Lison de Caunes était une féministe distinguée ! Toute l’inculture de son milieu vis-à-vis du mouvement social et du vivant en général. Comparable aux délires niaiseux des maoïstes sur « le chef« , style « Number One mythique des maos » (Une génération de Mao à Moïse, Alain Garric, Libération du 21 décembre 1984) *. Lison était probablement inspirée par cette ambiance, vu les appuis dont elle et son compagnon bénéficiaient chez les admirateurs du tortionnaire de la Chine, car ces têtes réduites et réducteurs de têtes semblaient se multiplier autour d’eux. Ils formaient « la « bande », ses troupes en quelque sorte » (Les jours d’après, page 149). « La « bande »« , en effet : la bande des singes hurleurs qui avait déboulé sur le Pré-aux-Clercs un mémorable soir de juin 1972. Les mêmes bons à tout faire, et surtout à défaire : les « troupes du général » rameutées dans les luttes picrocholines de l’UNEF et du PSU. On apprécie les références citées par Lison de Caunes, surtout dans le contexte du mouvement de l’émancipation. Aucun doute : les deux tourtereaux étaient depuis longtemps connectés à l’origine de la mascarade.
* On remarque encore l’emploi de « génération« …
Dans quelle mesure cette inculture a-t-elle joué un rôle dans la détermination de tous ces gens à nuire au mouvement de l’alerte écologiste ? Savaient-ils tous ce qu’ils faisaient ? S’en foutaient-ils, eux qui, de nuire, semblaient jouir ?
Et encore : « Je m’en satisfaisais parfaitement ; j’aime organiser et mettre de l’ordre, il aime être le chef et commander« . Ben voyons, c’est tout à fait logique. « Chef« , toujours la terminologie très en vogue chez ces gauchistes qui créaient partout les « petits-chefs autoproclamés » épinglés par Hocquenghem. Un chefaillon, un petit potentat, comme l’écrira Serge Quadruppani (Mai 68, le gadget triomphant et l’utopie nécessaire). Comme par hasard, plusieurs – dont Hocquenghem lui-même – faisaient partie de « la « bande » » organisée.

Ces gens devaient se croire seuls au monde. N’y avait-il personne d’autre dans cette « petite association » ? Et, cette « petite association » ne faisait-elle pas partie d’un ensemble – ce que l’on nomme communément un mouvement social ? Et les autres, autres acteurs de l’association, autres acteurs du mouvement, les attendaient-ils pour devenir enfin quelque chose ? Ces autres n’avaient-ils donc pas de consistance, d’ancienneté, de compétence, d’expérience, de projets… pour que les premiers blancs becs venus des beaux quartiers les coiffent d’une hiérarchie d’opérette ? Voulaient-ils, d’ailleurs, d’une hiérarchie ? Rien, aucun questionnement. La fille de la féministe Benoîte Groult ne s’interroge pas, ne s’étonne pas. Confisquer la parole, le travail, l’identité des autres lui semble tout à fait naturel. Cela dit que, derrière les sourires de façade, aucun lien consistant n’était tissé avec ces autres qui n’étaient pas de ses réseaux de connivences, de son monde. C’est la parole d’une prédatrice : la plèbe n’est-elle pas faite pour être dominée, y compris par des ignorants (pourvu qu’ils soient d’extraction bourgeoise) ? Typique de ces « gauchistes » et « féministes » du Tout-Paris. Imbus et suffisants, ils croyaient « s’investir dans ce qu’on pourrait appeler des révolutions minuscules« , dixit Christophe Bourseiller (encore un pseudo), parce que, soit ils n’y comprenaient rien, soit ils y devinaient un danger pour leurs intérêts de classe – voire les deux simultanément. Ou ils y étaient conduits par de beaucoup plus habiles qu’eux qui n’étaient pas là pour changer la vie en mieux. L’ennui, c’est que nombre de ces plagiaires finiront par croire qu’ils étaient vraiment à l’origine de ce qu’ils colonisaient et dénaturaient. Certains le croient encore. Bourseiller en est.
Parlant des maoïstes (maoïstes !), Bourseiller ajoute : « (…) Beaucoup (…) inventent l’écologie, militent dans le mouvement des femmes et des homosexuels (…) » (L’extrémisme, une grande peur contemporaine, CNRS éditions 2012). Que voilà une écriture remarquable pour décrire les exploits des adeptes du pire style manipulateur (Hocquenghem ayant repris conscience). Cette seule phrase décrédibilise l’auteur et laisse deviner les contours d’une révision de l’histoire. Christophe Bourseiller était-il l’un des olibrius qui entouraient le « président » et la « trésorière » sortis du chapeau d’Alain Hervé ? Ou a-t-il été abusé par les menteurs liés à l’opération, tel celui-ci qui « a créé les Amis de la Terre » (mais que j’ai vu y arriver sur la pointe des pieds), ou tel autre qui « lance la Gueule Ouverte, journal de l’écologie naissante (…) en 1974 » (Le mécano Bennahmias remet les clés, Paul Quinio, Libération 23 et 24 juin 2001) *, etc. Mais pourquoi Bourseiller n’a-t-il pas vérifié ? Et ce salmigondis est publié par le CNRS, le « Centre National de la Recherche Scientifique » ! Cette originalité mérite de figurer dans un Guinness dédié aux fausses informations.
* Mécano… plutôt machiniste des coulisses du sabotage du mouvement. Pour ceux qui n’ont pas vécu l’époque, La Gueule Ouverte (le journal qui annonce la fin du monde) a été créée en 1972 par Pierre Fournier, avec l’appui de Cavanna et Choron.
Associer les maoïstes aux écologistes, aux féministes, bref à la nouvelle gauche, montre l’ignorance de Christophe Bourseiller vis-à-vis des mouvements de l’émancipation. Changer en lanceurs « de l’écologie« , et autres luttes, des adorateurs de l’un des régimes les plus totalitaires, des admirateurs d’un obsessionnel de la destruction, et prédateur sexuel notoire, véritable Père Ubu jamais en panne de nouvelles débilités pour faire « table rase du passé« , et coupable d’un écocide sans fin… Et, qui plus est, saboteurs de tous les courants de l’émancipation. Il faut avoir manqué beaucoup d’épisodes pour oser une telle absurdité* ! À moins qu’il s’agisse de belle et bonne propagande pour compléter le travail de falsification (encore la censure invisible ?).
* ou être très copain avec les saccageurs…
Un autre historien, Philippe Buton, a, au moins, le mérite de reconnaître « l’hostilité » des trotskystes et, plus encore, des maoïstes vis-à-vis des écologistes. Vu les références de ces petits gars au boucher de Kronstadt et de l’Ukraine révolutionnaire, puis à la dictature chinoise, et les exploits de ces braves gens, hostilité est une litote (La Révolution Inconnue, Voline, 3 tomes, éditions Pierre Belfond 1972).
Mais, en 2012, Buton s’interroge pourtant sur « une difficulté à intégrer l’écologie dans le patrimoine culturel de l’extrême gauche« . Curieuse préoccupation et jolie précaution ! Mais pourquoi vouloir changer l’histoire ? C’est bien simple, la difficulté n’a jamais été surmontée puisque la culture gauchiste de référence – dominatrice de la nature et des hommes : impérialiste – est radicalement opposée à celle des écologistes ; mais pas à celle du capitalisme (à peu de chose près, c’est la même). D’où l’impossibilité de l’association rêvée par Philippe Buton, oublieux de l’hostilité première, parti en quête d’un invraisemblable « gauchisme écologiste« . Bien qu’il ait relevé la contradiction entre affichage d’une « préoccupation écologiste » et programme « marqué par une philosophie productiviste« , Philippe Buton s’est si bien laissé troubler par les simagrées du PSU qu’il a cru voir celui-ci « s’ouvrir précocement à l’écologie« . Nous verrons bientôt qu’il ne fallait pas se fier aux professions de foi du PSU, toujours contredites par les actes.
Au moins, Philippe Buton accorde-t-il un peu de considération aux « révolutions minuscules« .
Prêtons attention à ce que Christophe Bourseiller révèle comme par mégarde… Sous la rhétorique du mépris et ce qui ressemble à une valorisation des maoïstes, affleure l’un des rares témoignages publiés sur le piratage du mouvement écologiste. Bourseiller rejoint Alain Hervé (chapitre précédent) sur un point essentiel – c’est la clé de la compréhension de ce que les écologistes et toute la nouvelle gauche ont vécu au début des années 1970, et de tout ce qui a suivi jusqu’à aujourd’hui : l’entrisme gauchiste, son objet, et ce qui en a résulté (Michel Bosquet/ André Gorz, par Alain Hervé, Le Sauvage, 16 avril 2010, http://www.lesauvage.org/2010/04/michel-bosquet/). Et quels « gauchistes » ! Les maoïstes d’ici que j’ai pu identifier étaient convaincus d’être hors du vivant, au-dessus, supérieurs (!). L’alerte écologiste, l’ouverture sur le vivant, l’émancipation, c’était pour eux aussi. Mais c’était peine perdue. Ils étaient bouchés à l’émeri, hermétiques à toute évocation du vivant, et n’avaient en eux que mépris pour l’autre ; comme les vandales de la « Révolution Culturelle« , leurs modèles ! C’étaient des croyants, des intégristes même. Hallucinés, ils voyaient dans la dictature maoïste « le phare du socialisme« . Pire, ignorants de la Chine comme de l’écologie, ils ne voulaient pas savoir. Il leur suffisait de croire et de débiter mécaniquement les mêmes maximes creuses. Ce côté mécanique avait quelque chose d’effrayant. En d’autres circonstances, on n’aurait pas été étonné de les voir faire des brochettes de Moineaux vivants ou battre à mort de sales écologistes révisionnistes. Et beaucoup sont restés dans cet état, changeant plus ou moins d’idoles, mais toujours fascinés par le pouvoir. Comme des gardes rouges en virée. Pas étonnant qu’ils aient été des supplétifs rêvés pour la désertification générale qui était au programme des néocapitalistes. Est-ce pour ces qualités qu’ils seront couverts d’éloges : « Le Maoïsme est venu en France comme quelque chose qui permettait de se libérer » (il est vrai que c’est du Sollers). Encore plus fort : « Les gauchistes en général et les maoïstes en particulier n’ont pas démérité de la démocratie. Si la France d’aujourd’hui est un petit peu plus vivable que dans les années 60, elle le doit pour une part non négligeable aux maoïstes.« . Voilà qui est assez étonnant pour qui se réfère à une dictature ! Et voilà qui parle de l’ignorance de l’écologie et de ses implications philosophiques, et qui révèle l’ignorance des menaces sur le vivant (une ignorance toujours intacte 35 ans après). Ignorance aussi de la dégradation du pays biologique et culturel, ici et partout ailleurs. Ignorance encore de la déstructuration économique et industrielle ; celle qui a réduit drastiquement les capacités d’adaptation aux différentes crises générées par le système, et que les maoïstes n’ont pas peu contribué à renforcer. Plus c’est gros… Mais l’énormité est de Gérard Miller, maoïste toujours revendiqué (en 2005 sur TV5monde). Indécrottables.
Au fait, tous « les maoïstes » ? N’y avait-il pas des nuances ? Ces maoïstes « petits-chefs autoproclamés« , entre cafés de Saint-Germain-des-Prés et luxueux salons du septième arrondissement et de l’île Saint-Louis *, qui ont fait des écologistes leurs proies, n’étaient-ils pas légèrement différents de ceux que l’on aurait pu rencontrer dans les provinces, militants désinformés entraînés par la propagande ? On peut le penser en lisant ou entendant d’ex-maos s’exprimer comme si, si longtemps après, ils ne savaient toujours rien des manoeuvres de leurs directions sous neuroleptiques et autres substances. Mieux, il semble que beaucoup aient cru rejoindre un réseau anar, ou, comme nous le verrons, devenir écologistes en s’adonnant aux magouilles les plus dégradantes !
* Michel Schneider, La passion selon Mao, Champ psy 2010, L’Esprit du temps.
François Hourmant, Les « maoïstes mondains » ou le crépuscule ostentatoire de la Révolution, dans L’aventure démocratique, Presses Universitaires de Rennes 2017.
Quant à la description de l’action des intrus par Christophe Bourseiller…
« Ils s’investissent« … Reste à préciser le sens et les conditions de cet investissement – en d’autres circonstances, ils disaient établissement. Ils ne se sont pas investis en apprenant, en s’adaptant, en changeant de mentalité. Ils ont infiltré en avançant masqués. Visages, comportements, langage, les plus habiles nous copiaient et réussissaient même à sourire. Parfois. Les autres se taisaient prudemment. Ils ne semblaient pas dangereux, mais c’était une conquête ! Une colonisation mi-brutale mi-subreptice. Ils investissaient comme des spéculateurs investissent dans un coup boursier, comme des soudards s’emparent d’une place en la nettoyant de ses occupants et de sa culture, comme les Gardes Rouges de la « Révolution Culturelle » (en tête de gondole de leurs modèles), comme les Sionistes en Palestine, comme les Kmers Rouges (qu’ils admiraient et allaient applaudir longtemps) investissaient, à la même époque, les régions « libérées » ! Les mêmes méthodes étant employées par les stratèges capitalistes, nous ne pouvions faire de différence entre le mépris « de gauche » et le mépris « de droite« . D’ailleurs, l’observation des contorsions d’un Alain Hervé faisant la navette entre les deux extrêmes montre une osmose parfaite entre les activistes des deux partis. Entre prédateurs…
« Ta joie de vivre ils te la feront rentrer dans la gueule« , Pierre Fournier, Concierges de tous les pays, unissez-vous, Charlie Hebdo n° 28, 31 mai 1971.
Ils « inventent l’écologie » (!)… Des révolutions minuscules (!)… C’est en 2012 que Bourseiller écrit cela. 2012, c’est l’année de Comment avons-nous pu tomber si bas ? où je m’étonne qu’un analyste renommé – Edgar Morin – semble avoir perdu de vue la nouvelle gauche et la façon dont elle a été effacée. Mais, il est vrai, Morin est de ceux qui ont cédé à la maolâtrie, défendu les publications d’une Maria Antonietta Macciocchi *, et fait un bout de promenade avec les adversaires les plus résolus de l’écologisation ! Heureusement que, parfois, quelqu’un de plus avisé peut encore témoigner : « Tout était sur la table au moins dans les années 70 (…) En 68, déjà, la question environnementale était centrale dans les débats politiques et cette question a totalement disparu des facultés d’économie pour ne commencer à revenir que ces dernières années« , Gilles Raveaud, le jeudi 30 avril 2015, émission « La tête au carré » : L’économie, une science en crise ?. Et pourtant, ne côtoyant pas les acteurs du mouvement, Gilles Raveaud n’en avait qu’une connaissance indirecte. Cavanna en a témoigné aussi : « (…) On ne veut plus voir dans 68 que la chienlit folklo et irresponsable… On veut oublier – et on y arrive très bien – que là a commencé à se faire entendre le mot « écologie », que le propos initial du grand chambard fut la remise en cause de la société de consommation, la dénonciation du gaspillage des ressources, de l’injustice de leur répartition, du saccage de la planète, de sa flore, de sa faune… (…) », Géranium et papier peint, Écologie Infos septembre 1988. En effet, j’ai aussi bon souvenir que toutes ces préoccupations étaient représentées en 68 (et pour cause !), parce qu’il était déjà clair que les politiques mises en œuvre nous envoyaient dans le mur. Nous avions suffisamment de clés pour comprendre leur nuisibilité et en craindre les conséquences. Et si, comme le dit Philippe Buton, se référant à un ouvrage de M. Perrot, M. Rebérioux et J. Maitron, dans L’impensé écologiste de l’extrême gauche française avant 1968, « tous les discours, tracts et journaux de ces mois de mai et juin 1968 sont strictement muets sur la question écologiste« , c’est tout bonnement parce que ladite « extrême gauche française » voyait d’un oeil peu amène émerger la nouvelle gauche, surtout l’écologiste, et aidait déjà au travail de censure utile au capitalisme. Quant à la discrétion de l’expression écologiste… Sans locaux hérités de prédécesseurs, sans moyens offerts par les « grands frères » et les services de la veille capitaliste, dispersés, devant tout amorcer, tout initier, on ne pouvait imprimer et diffuser plus de quelques tracts ronéotypés. Cependant, comme le soulignait Cavanna, dans les slogans, dans les affiches, dans les débats en bas de l’estrade colonisée par les nouvelles vedettes, l’alerte écologiste était bien présente – ne serait-ce que par les slogans : « On ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance !« .
* une pure propagandiste du maoïsme.
Les écologistes n’étaient pas subventionnés par des puissances étrangères et n’avaient pas de familles fortunées pour assurer leurs arrières. Et, surtout en France, les écologistes n’avaient pas bénéficié d’une longue gestation dans le giron des « partis frères« , avec formation aux magouilles politiciennes de bas étage. Aucun risque ! L’univers politique était trop fortement conditionné par les idéologies d’une brutale domination imposée à tous les vivants (y compris aux autres hommes). Exploitation, innovation sans soucis du contexte, production, consommation sans discernement et sans limite, censées permettre d’atteindre un mirage : « le progrès« … Nous étions encore dans l’héritage du XIXème siècle, mais le pire du XIXème. Un XIXème siècle sans Stirner, Hugo, Darwin, Reclus, Bakounine, Kropotkine, Gide (Charles), etc. Dans cet environnement arriéré, nul n’avait la moindre velléité d’appuyer l’alerte écologiste. La sensibilité écologiste et, d’une manière générale, les remises en cause proposées par le mouvement multiforme des années soixante étaient beaucoup trop renversantes pour la plupart, sclérosés par l’anthropocentrisme, la pensée mécaniste et une profonde ignorance du vivant. D’ailleurs, une cinquantaine d’années plus tard, même l’ONU et le GIEC faisant le constat d’une conscience incroyablement chétive par rapport à l’urgence planétaire, permettent d’imaginer comment les écologistes étaient généralement regardés !
On ne comprend pas grand-chose à tout cela si l’on oublie le contexte international de ces années d’après-guerre, et, tout particulièrement l’histoire de la guerre froide qui a tout influencé. La guerre froide… Un fait mondial d’une extrême importance, et, pourtant, largement méconnu.
La guerre froide n’était pas qu’un arsenal militaire et un rapport de forces entre puissances. C’était aussi une formidable machine de surveillance, et de contrôle politique et social. Propagande, tromperies en tous genres, falsifications, infiltrations, corruption… toutes stratégies visant à renforcer l’aliénation et à en développer de nouvelles (en général, via la consommation). Il y avait des compétences pour chaque fonction, et les moyens étaient illimités. Avec un tel déploiement, on devine que rien n’a échappé aux prédateurs lancés dans la globalisation capitaliste. Les étranges mésaventures vécues par les écologistes l’illustrent. Il ne fallait pas que l’alerte écologiste, et plus encore l’attrait de l’émancipation et les perspectives d’une civilisation détendue, contrarient l’objectif : « conquérir l’esprit des hommes » (feuille de route de la jeune CIA de la fin des années quarante).
Sans même aborder l’intense remue-ménage déclenché par 68 dans la fourmilière de la guerre froide : services officiels d’ici et d’ailleurs, services clandestins, foultitude de réseaux secrets, anciens et nouveaux, tous beaucoup plus hostiles aux écologistes qu’aux gauchistes, tous mobilisés pour contrôler le mouvement, et tisonner l’incendie afin d’entraîner des réactions de peur et de rejet, et le retour à l’ordre *. Probablement des milliers d’agents sur le terrain pour observer, infiltrer, influencer, écarter les éléments les plus pertinents, récupérer, détourner… Beaucoup d‘événements ont été, au moins, influencés, et cela n’est pas non plus un hasard si la représentation du mouvement se résume généralement à une image simpliste masquant les indignations, les alertes et les propositions alternatives.
* symptôme édifiant, le SAC a vu ses effectifs enfler en 68 (20 ou 30 000 membres selon les sources).
L’indifférence glacée, souvent l’hostilité, à gauche et à l’extrême gauche (comme à droite, d’ailleurs), vis-à-vis d’une ouverture, d’un élargissement aux autres êtres et à l’ensemble vivant de la critique de l’exploitation dissuadait toute tentative de rapprochement. Y compris avec les syndicats *. Dans l’ouverture de la sensibilité et la curiosité pour la nature, dans la perspective d’une régulation inspirée par la connaissance de la fragilité du vivant, les balourds productivistes voyaient quelque chose d’inquiétant, de régressif, sûrement réactionnaire. Ils le voient encore et cette seule arriération entrave toute évolution. Côté « protection de la nature« , beaucoup d’alertes semblaient partagées – apparemment. Mais un doute subsiste. En tout cas, l’heure n’était pas du tout à la désignation des responsabilités, à la critique de la principale origine des destructions : l’exploitation capitaliste. Comme pour d’autres rencontrés plus tard, les naturalistes s’interdisaient toute mise en cause « politique« . Ce qui, en définitive, fait rétrospectivement douter de la profondeur de leur prise de conscience et tend à expliquer leur contribution à la censure des écologistes. Des deux côtés, la remise en cause de la sacro-sainte économie par le petit bout de la lorgnette pour l’étendre à l’économie de la nature dérangeait. Encore plus celle d’une évolution de « la démocratie » et de ses annexes – le droit, par exemple – pour y inclure le vivant !
* Plus de 50 ans après, l’intelligence sensible a progressé ; mais, en général, pas grâce à la gauche réduite à l’accompagnement du capitalisme, certainement pas. Pas grâce aux électoralistes et à leurs élus sans pouvoir. À de rares exceptions près, ceux-là restent en dehors de l’évolution. C’est la culture commune qui a progressé indépendamment, voire malgré eux et leurs accointances avec les lobbies de l’exploitation productiviste et de la violence gratuite.
Le compliment des « révolutions minuscules« , minuscules comme leurs nombrils, s’applique bien mieux aux protégés de Bourseiller qui, au mieux, ne comprenaient rien à ce qu’ils avaient entrepris de détruire ; comme, nous le verrons, les fameux élus de Alain Hervé et des gauchistes. Même si l’on oubliait un instant l’intentionnalité évidente et l’état-major réactionnaire qui les soutenait, la nullité des résultats de leur OPA dit tout de leur nullité politique. Combien d’idées généreuses ridiculisées ou détournées ? Combien d’énergies épuisées, effacées ? Combien de mouvements de l’intelligence sensible sacrifiés ainsi ?

Christophe Bourseiller, qui ne manque pas d’humour, publie avec l’onction du CNRS. Comment est-il possible que 40 années de confirmation des alertes écologistes et de régression philosophique ne lui aient pas ouvert les yeux, ni même éveillé une curiosité pour ceux que ses petits amis ont chassés et remplacés ! Comme tout énamouré de ces maos qui ont tout « inventé« , il ne s’interroge pas un seul instant sur le pourquoi et le comment de leur mutation apparente. Comment ces dilettantes formatés par la culture de la compétition et de la domination, habitués des terrasses de Saint-Germain-des-Prés (à la Rhumerie, par exemple), sont-ils soudain passés à ce que Bourseiller croit être « l’écologie » (sic), tout en restant admiratifs d’un totalitarisme anti-nature et anti-culture ?! Étant donné l’énormité de l’invraisemblance, il est curieux que nous soyons si peu à nous interroger sur le phénomène. En quelques dizaines d’années, je n’ai noté que l’étonnement – récent – des auteurs de Changer le monde, changer sa vie, enquête sur les militantes et les militants des années 1968 en France *. La démarche initiale semblait prometteuse : « Contre la réduction de la “génération 68” aux seuls leaders, parisiens et intellectuels, nous proposons un triple décentrement du regard : de Paris vers les régions, de Mai aux “années 68”, des têtes d’affiche aux militants ordinaires ».
* Olivier Fillieule, Sophie Béroud, Camille Masclet et Isabelle Sommier, avec un « collectif sociologie du militantisme, biographies, réseaux, organisations » (Sombrero) qui rassemblerait une phalange de politistes et sociologues.
La question du pourquoi et du comment reste entière : pourquoi ce remplacement systématique, dans quel but ? Et comment une telle opération a-t-elle été réalisée ? Avec quelles forces ?
Mais encore, « l’écologie » (sic) n’est que très brièvement évoquée dans cette étude qui, pourtant, dévoile le mythe médiatique changeant la nouvelle gauche des années soixante en son contraire. C’est ballot, car ce qui est arrivé au mouvement écologiste éclaire tout le reste. Las, la façon dont le sujet est abordé révèle une ignorance complète et – c’est un comble ! – la prépondérance du conte sur l’histoire : « (…) Autre question émergente, l’écologie. Les plus sensibles y sont les maoïstes et le PSU (…) Une étude reste à faire pour expliquer cette sensibilité maoïste (ou maoïsante) à la protection de l’environnement (…) » (!). Pour qui sait l’implication du PSU et des maos dans l’agression anti-écologiste du 23 juin 1972 et la suite *, les actions des maoïstes contre les écologistes, et quelques autres faits édifiants que nous allons découvrir, l’attribution d’une « sensibilité écologiste » au PSU et aux maoïstes fout tout l’essai par terre. D’un coup, le sens est perdu et le collectif s’égare. La propagande électoraliste prise pour la réalité de l’engagement pour le bien commun ! L’imposture – démasquée depuis les années 1980, au moins – mise à la place de ses victimes ** ! Peut-on imaginer renversement plus complet, erreur plus dépréciante pour une thèse ? Mais, où diable tous ces gens ont-ils été chercher une intox pareille ? Chez Bourseiller, ou cela leur a-t-il été soufflé intentionnellement ?
* Et celles d’avant visant Pierre Fournier.
** Aucun de ceux qui ont croisé mon chemin depuis l’époque, physiquement ou par écrit, ne peut prétendre l’ignorer. Cela fait du monde ! Mais pour un résultat nul. Tout au plus, une stupéfaction, une écoute, une velléité d’action, ou une gêne, et plus rien. Encéphalogramme plat. Ni constance, ni compréhension des implications pour eux-mêmes et l’ensemble. Ou résignés ; abattus par l’ampleur du problème. Ou formatés et dissociés. C’est particulièrement révélateur quand il s’agit de ceux qui ont contribué à la dégradation ; surtout s’ils n’hésitent pas à s’en plaindre ! Défaillance de l’intelligence sensible, démonstration supplémentaire d’une incapacité à faire face aux causes de la dégradation générale. Une impuissance… Vu l’état de la majeure partie des sociétés et de la biosphère, on ne saurait s’en étonner.
« Une étude reste à faire pour expliquer cette sensibilité maoïste (ou maoïsante) à la protection de l’environnement« … En effet ! Je serais très curieux de voir réaliser un tel exploit. Au moins depuis le début des années cinquante et l’application à grande échelle du lavage de cerveau rôdé pendant la Longue Marche (réforme de la pensée en « frappant le cerveau et le lavant« ), depuis l’invasion du Tibet (1950) et le désastre écologique et social généralisé, depuis « le Grand Bond en avant » avec ses cortèges d’horreurs, on ne peut faire rapprochement plus absurde.
Des agressions premières à l’effacement final
Nous avons déjà croisé la « Deuxième Gauche« , une entité très spéciale que nous allons retrouver souvent. Bien qu’elle s’oppose à la nouvelle gauche, qu’elle soit accolée au Parti Socialiste, cette Deuxième Gauche est souvent confondue avec la nouvelle gauche. Cela n’est pas un effet du hasard ou de l’inattention. La nouvelle gauche, cela va de soi, n’a aucun rapport avec un courant socialiste français de la fin des années cinquante. Courant d’ailleurs précédé par un « Mouvement Uni de la Nouvelle Gauche » (MUNG) en 1957, lequel n’était en rien un précurseur des mouvements critiques et alternatifs ! C’est à partir de 1977 que l’appellation « Deuxième Gauche » deviendra commune. Comme pour sceller l’escamotage de la nouvelle gauche (l’écologiste). Les acteurs de la « Deuxième Gauche » gravitant autour du PSU renseignent sur sa valeur et son origine. On y trouvait Michel Rocard encore en vedette, Jacques Julliard l’anti-écologiste primaire issu du PSU (et ami de Rocard et de Michel Bosquet, alias André Gorz*), Edmond Maire de l’illusionnisme syndical CFDT, François Furet l’ex-PC ex-PSU devenu ultra-libéral, Pierre Rosanvallon (futur secrétaire de la Fondation Saint-Simon), l’inévitable Jacques Delors… une alliance entre ex-communistes capitalisés et socialistes assouplis par des intérêts très très libéraux, et la perspective de carrières dorées sur tranche. Tous chantres de la domination de la nature (des peuples autochtones et des paysanneries aussi, comme des prolétariats), et d’une consommation dopée par une forte productivité. Cette belle formation de combat était ardemment défendue par une flotte de journalistes assez peu soucieux de démocratie, dont l’équipe du Nouvel Observateur qui marquait les écologistes à la culotte. La « Deuxième Gauche » réunissait donc une bonne partie de ceux – surtout les pro-nucléaires et les pro-croissance – qui étaient en train d’estourbir la nouvelle gauche. Rien d’étonnant à cela puisque la plupart de ces messieurs allaient bientôt accoucher de la Fondation Saint-Simon (1) ! Cette « Deuxième Gauche » préparait l’offensive libérale des années 1980 qui a initié la régression toujours actuelle.
* Curieuse amitié entre un « penseur de l’écologie » et un social-démocrate si peu démocrate qu’il était anti-écologiste (démonstration édifiante dans son déballage historique : Non à la déesse Nature !, dans Le Nouvel Observateur de décembre 2009. Un article toujours très apprécié chez les ultra-libéraux.
L’ampleur de la désinformation sur le mouvement écologiste, et l’appartenance de ceux qui la relaient, leurs soutiens et leurs publications aussi, démontrent la puissance du système qui l’a créée et la diffuse continûment. Dommage que les auteurs de Changer le monde, changer sa vie n’aient pas fouillé plus loin, au-delà de la propagande. Dommage qu’ils semblent tout ignorer de l’ingénierie de la manipulation des motivations ! Ils auraient pu apprendre l’origine de la légende et combler quelques vides : Alain Hervé, ses amis et ses protégés repeignant inlassablement le décor pour parfaire l’oeuvre de la censure invisible. Les auteurs de l’enquête sur les militantes et les militants des années 1968 en France se seraient peut-être aperçu de la supercherie et de l’existence d’un mouvement écologiste (naturellement libertaire) sous la pantalonnade gauchiste. Toutes leurs perspectives en auraient été bouleversées. Surtout leur classement des adorateurs de dictatures sous l’attrayante expression de « gauches alternatives » ! La jeunesse des auteurs n’explique pas tout, d’autant qu’ils se disent appuyés par « une trentaine de politistes et sociologues » (?!). Le produit de leurs efforts réunis montre combien l’amnésie organisée est omniprésente en France, combien l’histoire des années soixante-soixante-dix a été défigurée pour justifier à posteriori toute la dégringolade qui a suivi. Une histoire défigurée au point d’effacer le mouvement mondial de l’émancipation sous les convulsions de quelques groupuscules totalitaires ; lesquels – comme c’est étrange ! – ont servi la globalisation capitaliste sur un plateau. Ces approximations qui font la part belle aux imposteurs ont été publiées par Actes Sud en mars 2018.
Les vains efforts de ces politistes et sociologues laissent deviner l’étendue des conséquences de l’effacement du mouvement des alertes et de l’émancipation qui a marqué les années soixante en France et partout ailleurs. L’ignorance du mouvement et, surtout, de la mobilisation réactionnaire qui l’a infiltré et effacé a engendré une insuffisance culturelle et politique à l’origine de l’incapacité à reprendre la main dans une démocratie simulée.
Sans la connaissance de cette histoire, impossible de voir clair aujourd’hui et de faire de vrais choix politiques. D’autant que le mouvement écologiste n’a pas été le seul à bénéficier de tant d’attentions si particulières. Entre beaucoup d’autres étrangement négligées, cette histoire riche en manœuvres florentines donne tout un trousseau de clés indispensables à la compréhension de ce qui nous est arrivé; plus exactement : de ce qui nous a été imposé. Les connaisseurs en observent encore les conséquences. Pour être soigneusement dissimulée, cette histoire n’en est pas moins évoquée en creux par nombre d’historiens de l’écologisme peu regardant sur la vérité historique. Car, en faisant tant d‘efforts pour taire ou déformer les faits qui contredisent le récit officiel, ils témoignent de l’importance de ce qu’ils dissimulent.
Christophe Bourseiller est un cas intéressant. Il s’interdit de penser à ceux que ses chers maoïstes ont contribué à exclure. La présomption le dispute au mépris pour autrui, rappelant exactement l’attitude des agresseurs gauchistes des écologistes. Même morgue qui, au moins en partie, explique l’inconscience obtuse à laquelle se sont heurtés les écologistes. Mais cela peut être aussi une façon de minimiser le noyautage qui a détruit des mouvements autrement plus importants que le sujet de Bourseiller. Ancien gauchiste, « maçon franc« , enseignant dans des écoles de « sciences politiques« , chroniqueur radio, Christophe Bourseiller est réputé être un « spécialiste de l’extrême gauche« . Assurément, il ne l’est pas de la nouvelle gauche ! Sa confusion est comparable à celle d’Olivier Assayas qui, pour illustrer « la génération 68 » dans le film Après Mai, montre des jeunes bourgeois désoeuvrés s’imaginant – un peu – résister au système prédateur pour avoir fait un détour par « le petit livre rouge« , l’alcool et la fumette. Alors, en effet, Edgar Morin a raison en écrivant : « (…) cette docte ignorance est incapable de percevoir le vide effrayant de la pensée politique« .
Mais l’ignorance de l’existence de la nouvelle gauche ne peut tout expliquer. On lit et l’on entend couramment rappeler l’appartenance au maoïsme comme s’il s’agissait d’une bluette. Comment l’exhibitionnisme maoïste a-t-il été possible ? Comment l’est-il encore ? Entendu il y a peu à propos de l’un des plus hallucinés de cette faction : « philosophe maoïste » prononcé sur un ton détaché, comme s’il s’agissait d’une banalité. Oserait-on parler de « philosophe totalitaire« , de « philosophe fasciste« , voire de « philosophe stalinien » comme d’une identité culturelle comparable aux autres ?

dessin de Yrrah (Harry Lammertink 1932-1996) https://nl.wikipedia.org/wiki/Yrrah
Lison de Caunes, la compagne du général, ne parait pas avoir davantage conscience de l’existence de la nouvelle gauche et de sa philosophie politique contre laquelle s’époumonaient tous les penseurs du capitalisme, dont le triumvirat Norman Podhoretz, Irving Kristol, Raymond Aron, les lanceurs du néoconservatisme que, pourtant, son chéri avait déjà rejoints. Elle ne la connaissait pas, même 8 ans après l’avoir approchée ! Elle est passée au travers et a contribué à lui couper les ailes sans s’en rendre compte.
Étonnant que cette histoire digne du magazine Nous Deux ait été accouchée avec la complicité de la farouche « écoféministe » Françoise d’Eaubonne, et sous l’oeil de la féministe Benoîte Groult ! Par rapport à l’émancipation des femmes – l’une des préoccupations du mouvement – le témoignage de Lison de Caunes est riche en confessions intimes stupéfiantes. Il permet de mieux cerner la mentalité de nos gauches agresseurs « gauchistes » (mais vrais bourgeois) de juin 1972. Les grossiers appartenaient à un milieu social très spécial, un milieu très éloigné de celui de la majeure partie des militants, un milieu où la prétention le disputait aux égarements les plus ahurissants ; surtout depuis au moins un an. Pourquoi un an ? C’est que deux mois après les manifestations écologistes de la Semaine de la Terre, s’était produit un événement aux lourdes conséquences : la parution française du livre d’une fanatique du maoïsme *. C’était banalement un livre de propagande comme il y en avait tant, mais celui-ci était très fortement soutenu par les éditions du Seuil, une kyrielle d’intellectuels de gauche influents ** (?) et une presse décidément très éclairée, en particulier Le Nouvel Observateur et Le Monde. Ceux-ci n’épargnèrent aucun moyen, pas même la censure des informations et des critiques sur la dictature maoïste. Tiens donc ! Comme par hasard, Le Nouvel Observateur et Le Monde, les plus mobilisés pour étouffer les voix des écologistes et de toute la nouvelle gauche. Parfaitement logique avec l’anti-écologisme primaire des maoïstes, et leurs méthodes. Avec des moyens croissants, la campagne de presse et d’édition allait s’étendre aux institutions : Maria Antonietta Macciocchi allait enseigner à l’université de Vincennes… Enseigner la propagande maoïste ! Puis, elle allait être portée au Parlement Européen par les socialistes (1979-82), et se voir offrir maintes facilités, au point de pouvoir organiser des rencontres internationales où courraient des « intellectuels » ! Ce succès aussi phénoménal que fabriqué ajoutait à la maolâtrie grandissante depuis 68, réplique de la propagande de la « révolution culturelle« .
Pourtant, en janvier 1971, était sorti le livre de Simon Leys Les habits neufs du président Mao – chronique de la révolution culturelle ; un livre qui confirmait le constat déjà fait une dizaine d’années auparavant, au moment du « Grand Bond en Avant« , en disant tout de l’escroquerie maoïste. Mais l’emprise et le fanatisme étaient trop forts : « J’ai ouvert les yeux à cause du fonctionnement quotidien de l’organisation et non de ce que l’on pouvait déjà savoir de la mascarade de sang et de mort de la Révolution culturelle. Car rien, même pas Simon Leys, ne passait la barrière de la croyance. » (Michel Schneider, un technocrate maoïsant qui allait être opportunément propulsé dans les gouvernements Rocard) ***. La barrière de la croyance… entre autres barrières au premier plan desquelles celle de l’idéologie élitiste.
* Maria Antonietta Macciocchi, De la Chine, 500 pages de resucées de la propagande maoïste. Avant même sa traduction, étaient déjà parus des articles qui l’encensaient. Par exemple, Lettres de l’intérieur du parti par André Fontaine, Le Monde en août 1970.
** tels Philippe Sollers (par ailleurs défenseur des pédophiles et d’Althusser assassin d’Hélène Rytmann), Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, Jean-Luc Godard, Louis Althusser (!), Guy Lardreau, Maurice Clavel, Jean Daubier, Michel Foucault, Michelle Loi, Michel le Bris, Edgar Morin, Roland Barthes, René Dumont… Des anciens, des nouveaux, tous fascinés par la dictature, tous convaincus d’avoir raison contre le monde entier.
*** Mao. L’histoire inconnue, Jung Chang et Jon Halliday, Gallimard 2011.
La Vie privée du Président Mao – Les Mémoires du médecin personnel de Mao, Li Zhisui, Plon 2006.
Mao, sa cour et ses complots. Derrière les Murs rouges, Jean-Luc Domenach 2015.
Le Feu sous la neige, Päldèn Gyatso, 32 ans d’incarcération à partir de la colonisation du Tibet, Actes Sud 1997.
Chronique des années noires en Chine : 1958-1978 – Parcours d’une étudiante, du collège à l’université, https://journals.openedition.org/com/6158
Les gauchistes mondains veillaient. La propagande maoïste réussit à tenir tant de place que les critiques ne trouvaient plus à s’exprimer. Ainsi, il faudra attendre 1983 pour que les informations et la critique de Simon Leys et d’autres soient enfin largement reconnues. Pour beaucoup, c’est seulement le massacre de la Place Tian Anmen (juin 1989) qui éveillera la conscience !
L’année 1971 et les suivantes furent marquées par une nouvelle poussée de fièvre, sorte d’abêtissement radical, d’envoûtement qui allait durer très longtemps. Plus d’une dizaine d’années d’extinction de la pensée critique dont les effets se poursuivent. Enivrés, les gauchistes germanopratins et leurs sinistres maîtres à penser ne se sentaient plus. Leurs rangs clairsemés avaient été gonflés par une vague de nouveaux convertis d’autant plus exaltés qu’ils étaient désinformés, pour ne pas dire : conditionnés. Ils détenaient la vérité vraie et courraient la ville en se prenant pour des gardes rouges missionnés par le Grand Timonier.
Un autre que Guy Hocquenghem, également grand connaisseur, en a fait un portrait réaliste : « Ce petit monde des chefaillons gauchistes devenus petits potentats réalistes a ses réseaux, ses tics de langage, ses codes (par exemple les allusions, avec rire malin obligatoire, aux différends entre groupuscules, aux exploits de leurs gros bras et au prolétariat — ce dernier mot déclenchant particulièrement l’hilarité). Il n’est pas étonnant que ces soixante-huitards-là aient beaucoup fait pour transformer mai 68 en gadget, et qu’ils aient participé avec ferveur à ce qui est le comble de refoulement d’une mémoire vivante : la commémoration.
C’est d’autant moins étonnant que, maoïstes ou trotskystes, leurs idéologies et leurs organisations ont été, dès le départ, les ennemis résolus de ce qu’il y avait de plus neuf et de plus profond dans 68. Sans parler de l’aveuglement obtus des sectes bordiguiste ou lambertiste qui ne virent dans ce mouvement qu’une agitation petite-bourgeoise, comment les adorateurs du Grand Timonier ou les défenseurs de l’URSS-Etat ouvrier dégénéré pouvaient-ils saisir l’ampleur de ce qui se déroulait sous leurs yeux, ce jaillissement depuis les tréfonds de la société d’une utopie qui échappait radicalement à leurs pauvres catégories mentales ?« , Serge Quadruppani (cité plus haut).
Et c’est ça qui, ce 23 juin 1971, était tombé sur le dos des écologistes immunisés contre la propagande maoïste depuis les horreurs découvertes dix ans avant. On s’en doute, pareils décervelés étaient pain bénit pour les manipulateurs professionnels comme Alain Hervé et ses supérieurs. La grossièreté de l’agression est exemplaire des délires forcenés qui ont saccagé les élans généreux de l’époque *. Combien d’autres ?
* Le prophète rouge – Enquête sur la révolution, le charisme et la domination, Julie Pagis, La Découverte 2024.
En 1971, six couples décident de faire ensemble table rase de leur vie passée au nom de leurs idéaux politiques. Leur chef est un ouvrier espagnol dénommé Fernando. Dans l’effervescence de l’époque, et suivant l’appel du président Mao, ils partent « enquêter » dans des foyers de travailleurs immigrés, s’établissent comme ouvriers en usine et emménagent collectivement dans un ancien couvent.
50 ans plus tard, on s’étonne encore. Et paraissent des articles sur le délire commencé au début des années 1970. « L’aveuglement« , les « chimères » et les « fantasmes« , « l’amphigourisme« , la croyance hallucinée stimulée par la consommation de substances expédiant le sens critique dans un voyage sans retour, sont dénoncés. Mais ces articles taisent encore l’essentiel. Par exemple :
Comment avons-nous pu être maoïstes ? (De 1966 à 1976, le Grand Timonier fut une star à Paris. Et pas seulement dans la nébuleuse gauchiste. Retour sur un aveuglement collectif), par François Reynaert, Nouvel Observateur, mars 2021.
Et Jean-Luc Godard, Jean-Paul Sartre, Edgar Morin : mais qu’avaient fumé les Maoïstes ?, par François Forestier, Nouvel Observateur, mars 2021.
On remarque avec gourmandise que ces articles ont été publiés par Le Nouvel Observateur qui a beaucoup donné dans cet « aveuglement collectif« . Et plus.
Ces articles dénoncent utilement une opération d’intoxication collective dont, 50 ans plus tard, on est encore loin de mesurer les conséquences et de connaître les opérateurs. Cependant, ils véhiculent un abus et un oubli d’importance. D’abord la prétention que tout le monde était contaminé : « La cécité dont a fait preuve toute une époque à l’égard d’une des calamités meurtrières de l’histoire contemporaine reste, à bien des égards, un mystère qu’on n’a pas fini d’éclaircir. » écrit François Reynaert. « Toute une époque » frappée de cécité ! Cela ressemble fort à la trop fameuse « génération 68 » de Serge July, Patrick Rothman, Hervé Hamon et confrères. Rien n’est plus faux que cette généralisation à « toute une époque« , ou à une classe d’âge ; et, pire, cela cache encore une fois tous ceux qui ont été laminés par les frappés de cécité, fanatiques et imposteurs mêlés, et ceux qui les manipulaient. D’ailleurs, n’est-ce pas exactement pour cela : pour effacer, pour amnésier ? La distinction entre les uns et les autres – deux dynamiques que tout opposait, tout de même – est fondamentale, sinon on s’interdit de comprendre l’époque ! Quant à l’oubli… Il s’agit du silence sur les alertes, les propositions d’évolution et les espoirs que les maoïstes ont contribué à effacer. Tout un univers de conscience politique sans commune mesure avec ce qui a suivit l’extinction du mouvement d’émancipation issu des années cinquante.
L’écologisation* était à l’ordre du jour. Entre recherche des modèles inverses à la domination de la nature, circulation de l’information, débats d’idées ouverts à tous, actions générales ou locales, développements alternatifs en tous domaines : de l’agriculture bio à l’exploitation douce des énergies renouvelables, critique de la capitalisation du pouvoir et démocratie directe… la dynamique alternative semblait lancée. Inspirée par la philosophie politique coopérative de Charles Gide, l’écologisation débutante bouleversait déjà des parcours, modifiait des projets personnels, suscitait des vocations, inspirait de nouveaux développements, et donnait même naissance à des projets collectifs associant innovation sociale et technologique. Relativisant les idéologies centrées sur « l’Homme » dominant, ouvrant à de nouvelles compréhensions, assagissant les passions mal fondées, désamorçant les arrivismes, les cupidités et leurs luttes pour la possession, impliquant chacun en interaction avec tous, l’écologisation était la meilleure réponse aux fantasmes totalitaires – tant ceux de l’exploitation d‘une « nature » inépuisable que ceux d’une régulation imposée par le haut. Inverse de la conquête de l’esprit des hommes, l’écologisation semblait faire écho à l’écosophie d’Arne Næss. Malheureusement, nous étions encore loin de découvrir celui-ci.
* Un vocabulaire que j’utilisais à l’époque. La « transition écologique » des temps de l’effondrement enfin reconnu n’en est qu’une version vidée de l’essentiel, à force d’avoir été passée au crible de la propagande capitaliste : 1974 – Écologiser la politique ? (https://planetaryecology.com/2063-2/)
On se fatigue à tenter d’estimer l’étendue des dégâts occasionnés par les entrismes, les censures et les exclusions, les sabotages et les faveurs accordées aux délirants de Saint-Germain-des Prés. Alors, abus et oubli ? Ou dissimulation ? Ou insuffisance de l’information ?
Sous le masque politique et la langue de bois, l’amour dégoulinant des gauchistes pour les dictatures sanglantes correspondait assez bien à leur élitisme indécrottable. Le témoignage de Lison de Caunes achève de démontrer le fantasme de supériorité, la fermeture d’esprit, l’insuffisance de la capacité d’analyse, l’inexistence d’un intérêt pour le bien commun (donc l’incompétence *), l’inconsistance vis-à-vis de l’alerte écologiste, et la duplicité. Cela n’était donc pas une hallucination. Ils étaient bien tels que nous les avions vus. Mais, parallèlement, ce témoignage repose avec force la question de la sélection de ceux qui allaient devenir des « élites » (comme ils disent)… Car le saccage de l’AG écologiste pour imposer un ordre contraire au sens du mouvement était bien une forme de sélection. Et le pire était à venir. Alors, Pourquoi tant d’honneur, et pourquoi sélectionner de complets étrangers au sujet, et, qui plus est, des étrangers fanatisés incapables d’écouter et d’apprendre ? La réponse vient avec l’identification des sélectionneurs.
* mais une connaissance approfondie de l’enfer des bibliothèques bourgeoises
Dissimulation et simulation, mensonge, confiscation de la narration et falsification… Le parcours de Lison de Caunes montre la facilité avec laquelle une fille de « la bonne société » s’est coulée dans le rôle d’agent d’influence (tueur social est plus explicite). Hélas, contrairement à ce que nous avions la candeur d’espérer en misant sur l’ouverture et la dynamique de la confiance, cela montre que l’information libre, le débat et l’offre de perspectives sympathiques, ne sont pas des stimulations assez fortes pour faire évoluer les conditionnés. Comme l’a avoué le maoïste Michel Schneider, leur imperméabilité est totale.
Bien entendu, des gens aussi incultes en matière d’écologie, aussi inconscients des urgences, aussi fourbes, étaient motivés par autre chose. Par une aversion viscérale, comme Pierre Vernant qui allait se répandre dans Lutte Ouvrière en 1973 (note 2) ? Ou étaient-ils en service commandé, spécialement utilisés pour ce qu’ils savaient faire le mieux : saccager et souiller tout ce qu’ils approchaient ? Pourquoi, on peut l’imaginer sans peine. Mais pourquoi des « gauchistes » ? Et quel rapport avec Alain Hervé, le coordinateur du sabotage social en « bande » organisée, celui qui avait préparé la sauterie du Pré-aux-Clercs ? De qui, de quoi était-il le délégué ? Quelle entité avait commandité cette « sélection » ? Le si discret « comité de soutien« , ou « de parrainage » des
Amis de la Terre, y était-il pour quelque chose ?
ACG
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notes
(1) Le réseau international des groupes de pression libéraux, les « collèges« , les « cercles« , les « congrès« , les « think tanks« , donne de belles illustrations de l’unité gauche-droite dans la culture impérialiste. Ainsi, du début des années 1980 à la fin des années 1990, l’un de ceux-ci, la Fondation Saint-Simon, a rassemblé des « grands » patrons, des « hauts » fonctionnaires, des « grands » politiciens, des « grands » journalistes, des « grands » penseurs… Enfin, tous ces grands et ces hauts qui papillonnent entre plusieurs conglomérats de grands prédateurs – pudiquement appelés réseaux d’influence – avec autant d’aisance qu’ils passent du conseil d’administration d’une grande entreprise à un autre. Une sorte de « collège invisible » à plus grande échelle. Gens de « la gauche intelligente » comme de « la droite intelligente » (selon l’un des fondateurs) unis dans une communion élitiste radicalement capitaliste, constituaient « le salon chic des intellectuels anti totalitaires (sic) et des patrons sociaux, le trait d’union entre les rocardiens et le centre droit, la machine à tisser du consensus » (De Saint-Simon à la République, Libération 18 septembre 2006). « Anti totalitaires » ? Vu leur action, cette auto-proclamation révèle encore plus, non pas leur irréalisme, mais leur déconnexion assumée des réalités écologiques et sociales. Naturellement, nombre de ces gens de bien brillaient déjà dans la stimulation du nouveau totalitarisme mondialisé : l’ultralibéralisme, la politique la plus destructrice de vie de tous les temps.
La fondation « est née avec le présupposé que le déblocage de la société française passait par un capitalisme réel, assumé, mais régulé et moralisé par des gens de gauche« , Jean Daniel, le Nouvel Observateur juillet 1999. C’est dit. On retrouve l’idée que la société était bloquée et de la conversion nécessaire au capitalisme, idée avancée, entre autres, par un planificateur de la déstructuration technocratique, l’un des hommes orchestre du productivisme capitaliste : Michel Crozier, protégé du Congrès pour la Liberté de la Culture, artisan de la Troisième Voie – la voie de gauche vers le capitalisme impulsée par la CIA (Central Intelligence Agency) et ses filiales, organisateur du Club Jean Moulin, membre de Esprit, de l’Association pour la liberté économique, de la Trilatérale, du Club de l’Horloge, etc. Bref, le coeur même du système.
Un tel rassemblement ne s’est pas fait en un jour. Il y a eu des prémices, des influences extérieures, des évolutions convergentes chez des gens immergés dans des milieux apparemment éloignés, une longue phase préparatoire avec l’élaboration d’une stratégie, la recherche d’alliances et de complicités, des actions concertées… Pour se faire une idée de l’ampleur et de la durée de la construction, il faut admirer le parcours des fondateurs, des participants et des satellites de cette conspiration ultra-capitaliste. Le parcours de ceux qui ont commencé très « à gauche« , plus précisément, par prendre le contrôle de la gauche révolutionnaire, est particulièrement parlant ; cela jusqu’à maintenant. Ils s’étaient baptisés « la gauche intelligente » ! On découvrira l’ampleur de la supercherie en se rappelant que c’est cette même « gauche intelligente » qui a récupéré et vidé de ses acteurs sincères et de son sens le mouvement autogestionnaire et le mouvement écologiste (chapitre « Impostures politiques et sabotage du mouvement social »).
En remontant la filiation de la fondation, hors « la gauche intelligente« , on trouve :
– La Société du Mont Pèlerin fondée en 1947 par Friedrich Hayek et Milton Friedman (école ultra libérale de Chicago d’où sont sortis les « Chicago boys« ), ainsi que par les technocrates français Jacques Rueff, Maurice Allais et Bertrand de Jouvenel.
– La fondation créée en 1953 par le banquier étasunien John Olin,
– La Trilatérale (1973),
– La revue Commentaire créée en 1978 par Raymond Aron, l’ancien du « Congrès pour la Liberté de la Culture », avec des membres de la future Fondation Saint-Simon.
– Puis le Forum de Davos où courent tous les spéculateurs sur la ruine des peuples et de la biosphère… Enfin, à peu près tout ce qui ressemble à un point de condensation de la culture impérialiste (mécaniste, utilitariste, capitaliste, libérale ultra, absolutiste, cela va sans dire).
Ces apprentis maîtres du monde semblent ne vivre que pour substituer leur ordre au « désordre » du vivant, l’ordre de leurs profits.
En ce qui concerne la filiale française de ce courant, beaucoup d’éléments, en particulier l’identité des références et des structures mentales, permettent d’envisager un rôle déterminant du conditionnement dans les écoles de la technocratie (études de commerce, de politique, d’administration), celles dont la finalité de l’enseignement est le profit et la domination ; en clair : dans les écoles les plus caractéristiques de la culture impérialiste. Qui ne s’est pas interrogé en observant ces individus ainsi formatés, et souvent très proches, distribués de « la droite » à « la gauche« , et même dans une « gauche révolutionnaire » (mais pas chez les libertaires) ? Qui n’a trouvé troublant que, pourvu qu’on les pousse un peu, ils dévoilent tous les mêmes objectifs ? Nous avons vu qu’ils ont fini par coopérer à l’ultra-libéralisation du capitalisme, en passant par les grands travaux, les centrales et les essais nucléaires, les destructions écologiques ici et jusqu’au plus profond des forêts primaires – sans oublier les ethnocides, les atteintes à la santé publique et les affaires. Une seule question reste en suspend : où se situe l’amorce du processus ?