Le numéro d’ACTUEL d’octobre 1991

Le numéro d’ACTUEL d’octobre 1991, l’une des manipulations qui ont affaibli et décrédibilisé l’alerte écologiste

Au tournant des années 1980 – 1990, se dessinait un nouvel essor du mouvement écologiste. Après presque 10 ans d’une censure imposée par les électoralistes (Verts) au service de la « Gauche » néo-libérale au pouvoir, la parole se libérait et les énergies foisonnaient à nouveau. C’en était trop pour les suppôts du système.

En 1992, pour influencer le Sommet de la Terre de Rio, des lobbyistes industriels allaient pondre l’Appel d’Heidelberg en piégeant des dizaines de chercheurs *.

Mais, déjà l’année précédente, avec une campagne nationale aussi spectaculaire que coûteuse **, puis une rafale de publications anti-écologistes ***, les réactionnaires distribuaient largement les fausses informations et les calomnies. J’y avais droit aussi… Après plus de dix ans passés dans l’antichambre de la domination, ils croyaient que tout leur était possible. C’est ce qui a permis de les identifier.

LA FABRIQUE DE L’IGNORANCE Film documentaire diffusé le 23 Avril 2021 sur ARTE

https://www.facebook.com/watch/?v=1096460494455882

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mon droit de réponse : La deuxième manche

* Amiante et Appel de Heidelberg, par Henri Pézerat

** Entre autres, les meilleurs emplacements publicitaires étaient loués dans toute la France. Très curieux pour un journal en grande difficulté financière

Le PS contre les Verts, par Courant Alternatif

*** Les vedettes de la campagne anti-écologiste du début des années 90

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J’écrivis à la rédaction d’ACTUEL en faisant valoir mon droit de réponse. Devinez… Pas de publication. Pas même un accusé de réception.

La deuxième manche

La charge signée Jean-François Bizot et Christophe Nick fleure bon l’outrecuidance de ceux qui croient avoir tout compris et entendent régenter l’inconvenant grouillement de la multitude. L’ennui, c’est que la tentative de démonstration des auteurs n’est pas à la hauteur de leur prétention. Leur confusionnisme est tel que tout lecteur qui ne reviendrait pas inlassablement aux bases de l’écologie risquerait d’en être contaminé. L’éloge du pouvoir charismatique (1) et les dithyrambes sur les vertus du brassage dans les abcès urbains résultants de la ruine des tiers-mondes (2) sont des modèles de tout et n’importe quoi. Cependant, la volonté de nuire est patente et dépasse de très loin la dérive d’une critique qui serait dictée par la seule incompréhension.

Mais voyons d’un peu plus près…

Des bribes de déclarations et de textes sont citées sans que le contexte soit seulement analysé. Les inversions et les détournements de sens crèvent les yeux. Il est fait un usage généralisé de l’amalgame avec toutes les références honnies (depuis les bolcheviks jusqu’aux khmers rouges, en passant par les nazis, tous les épouvantails sont sortis du placard pour être comparés aux écologistes). L’ensemble de la personnalité et du travail des personnes accusées est condamné sur la foi d’extraits, de détails, d’anecdotes sélectionnés tandis qu’il n’est quasiment rien dit de la philosophie inspirée de l’écologie. Comme dans la pratique de la langue de bois, le discours change de niveau fréquemment. L’ensemble relève de la diffamation et de la fabrication de rumeur: « Calomniez, calomniez ! Il en restera toujours quelque-chose« .

Nous avons là toutes les ficelles des arts de la manipulation… Comme, précisément, savent – ou savaient – les pratiquer les délicats personnages et sympathiques extrémismes auxquels ACTUEL tente d’amalgamer les écologistes.

D’ailleurs, il n’est pas inintéressant de remarquer que d’autres affreux se trouvent miraculeusement blanchis. C’est la CIA, c’est le « grand capital international« , ce sont les lobbies tels le militaro-industriel et le pro-nucléaire. Que se passe-t-il « camarade » Nick, « camarade » Bizot ? À vouloir trop prouver, vous êtes-vous égarés ou avez-vous, bien imprudemment, révélé où vont vos sympathies ?

Au fond, tout cela est très amusant. Qu’est-ce qui est très amusant ? Eh bien, c’est que je sois taxé de bolchevik pour un article – dans la revue Écologie Infos – où je tente une description des forces qui détruisent tant la société humaine que le reste de la nature et m’interroge sur leurs origines. Ne savez-vous donc pas lire? Les quatre phrases que vous citez révèlent, à elles seules, le détournement de sens. En effet, quand je parle de « la première ligne des systèmes destructeurs« , il ne s’agit, évidemment, pas de ce que vous nommez « les masses humaines« … Ne feriez-vous pas un transfert par rapport à vos propres tendances à l’élitisme ? Ceux dont je parle sont ces « ex-gauchos (…) ex-maris toujours en divorce de Mai 68« , ces traîtres qui ont tué l’espoir, selon « l’accusation terrible et tacite que murmurent contre vous les gens de vingt ans d’aujourd’hui, que vos palinodies ont désabusés« 

Gens d’ACTUEL, n’avez-vous pas remarqué la référence à Guy Hocquenghem: Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary ? Si oui, vous eussiez été plus prudents car c’est de vous et de vos camarades dont parle Hocquenghem, vous qui avez saboté les forces vives de l’écosystème social pour que les « puissants » vous concèdent quelque strapontin : « Directeurs de journaux et convertis du nucléaire, capitalistes récents et stratèges de la dissuasion, vous avez renié à tour de bras vos idées, mais pas vos structures mentales ni vos méthodes. Ni droite ni gauche, mais le pire des deux ensemble; fidèles au plus dangereux style manipulateur des groupuscules (…), votre réalisme sentencieux, injurieux à l’égard des rêves de votre passé, a pris le pli du pouvoir et le poids de la réussite, en conservant comme armes les recettes de la terreur propagandiste léninisto-marxiste (…) cette méthodologie de la manipulation qui n’avait pour excuse que d’être au service d’une noble cause« .

Comme il vous connaissait bien ! Nul doute que vous auriez eu de très hautes responsabilités au ministère de la Vérité décrit par George Orwell dans 1984… Comme Guy Hocquenghem, nous vous connaissons bien, vous et les autres ex-faux-frères, pour cette science de la manipulation et pour cet acharnement à écraser les sincères : « le style que vous imprimez au pouvoir intellectuel que vous exercez enterre tout possible et tout futur. Du haut de la pyramide, amoncellement d’escroqueries et d’impudences, vous déclarez froidement, en écartant ceux qui voudraient regarder par eux-mêmes, qu’il n’y a rien à voir et que le morne désert s’étend à l’infini« .

Qu’il est loin l’ACTUEL anarcho-écolo-baba-cool du début des années 70 ! Il est devenu avec les années 80 (retournement oblige) l’un des meilleurs propagandistes du conformisme libéral et de la « réussite » (sic), ce sur quoi vous n’auriez pas manqué de vomir dans la première formule. Mais, peut-être, votre engagement des années d’après Mai 68 n’était-il fait que de poses étudiées (d’où les outrances ?) et de simulacres racoleurs pour se maquiller aux couleurs du temps? N’avez-vous pas, depuis, susurré au lecteur « Tu ne comprenais pas qu’on te provoquait, qu’il fallait réviser les valeurs des marginaux…« ?

Envisageriez-vous, maintenant, de « réviser les valeurs » déduites de l’écologie ?! Vous avez présenté l’hypothèse Gaïa, abordé différents problèmes écologiques… Pourquoi, tout à coup, cette volte-face? Dans quel but ?

Certes, dans tout mouvement il y a des insuffisances, des hésitations, des maladresses, des erreurs… Sans négliger nullement le risque de dérives aberrantes, toutes ces turbulences font partie du mouvement, en sont conséquences et lui sont nécessaires parce qu’elles provoquent (votre agression elle-même) d’innombrables effets rétroactifs, de rebonds qui enrichissent le mouvement. Mais l’important n’est pas là. L’important est, précisément, ce que vous taisez : la résultante de toutes les turbulences, ce qui fait la personnalité du mouvement.

Vous prétendez démolir la réflexion écologique dans ce qu’elle a de plus inconfortable pour les conformismes dominants… Auriez-vous peur du mouvement de la pensée ? Voudriez-vous réduire l’écologie à l’environnementalisme ? Pour l’inféoder à quoi ?

Et vous osez vous référer à Murray Bookchin! Dès les années 60, celui-ci avait fait justice du soupçon abject que vous portez à l’endroit de la critique écologique de la déstructuration des écosystèmes et des communautés sociales par la spéculation et la domination: « Le développement de la totalité se réalise grâce à la diversification et à l’enrichissement de ses parties« . Explorateur des philosophies, des mouvements sociaux et des théories scientifiques, Murray Bookchin exprime la quintessence de l’écologie : « l’écologie est intrinsèquement une science critique – à un point que n’ont jamais atteint les constructions les plus radicales de l’économie politique (…) l’écologie permet sur le plan tant biologique que social une critique dévastatrice de la société hiérarchique dans son ensemble tout en suggérant les lignes de force d’une utopie viable et harmonieuse« . Notre souci de la diversité, de la dynamique des interrelations et, par conséquent, du mouvement libre de l’information (voir Henri Laborit) nous tient naturellement – nous, écologistes – éloignés de toutes les rigidités dont vous, ACTUEL et autres tout aussi bien intentionnés, voulez nous étiqueter. L’écologisme est le prolongement des luttes sociales – luttes vitales – contre l’exploitation et la domination car l’écologie contient la confirmation scientifique des aspirations à la démocratie, à l’équité, à la convivialité criées par tous les souffrants et les révoltés du monde et de l’histoire.

Plus profondément, Murray Bookchin ne dit pas autre-chose que ce que j’avance dans ma critique – jugée « délirante« – du matérialisme : « la mécanique inventée par la Renaissance ne leva à son tour le fardeau de la « cause finale » de la téléologie médiévale que pour le remplacer par (…) la « cause efficiente », avec son déterminisme implacable et sa tyrannie de la réduction simplificatrice« . C’est un espace totalement différent des deux orientations philosophiques occidentales dominantes qui s’ouvre avec l’écologie. L’une consacre la domination d’un esprit mystérieux ; elle sépare l’individu tant de sa nature – la vie complexe qui est en lui – que de la nature dont il fait partie pour le laisser, nu et désemparé, face à Dieu. L’autre affirme que la matière est la seule substance, que la nature est informe, « bête » et hostile et, donc, que « Son » intelligence unique autorise « l’Homme » à n’en faire qu’à « Sa » tête (3). L’une et l’autre omettent de s’interroger sur la façon dont la vie fonctionne -l’économie de la nature – dans le seul but d’asseoir, sur le désarroi de la plupart, la domination de ceux qui prétendent savoir. L’écologie, elle, constate l’absurdité de toute domination. Aussi loin du spiritualisme que du matérialisme, qui sont tous deux réducteurs, l’écologie reconnaît, à la fois, la structure et le sens du vivant, elle est ouverture à la complexité: ouverture à la complexité qui est en nous, ouverture aux autres, à tous les autres êtres vivants, ouverture à la complexité de cet univers dont nous faisons intrinsèquement partie.

C’est là l’origine philosophique de l’impossibilité -pour les écologistes- de se mêler aux clivages politiciens du segment gauche/droite qui, tous, sont imprégnés de l’une ou de l’autre expression de la volonté de dominer. Certes, tout écologiste apprécie que « la gauche démocratique » dise vouloir supprimer l’exploitation de « l’Homme » par « l’Homme » mais nous avons tous vu qu’il ne s’agit là que d’une velléité -sinon d’un discours mensonger. En outre, aucun écologiste ne peut oublier que « la gauche » partage avec « la droite » la croyance que « l’Homme » doit dominer la nature… c’est à dire : la croyance que « l’Homme » peut dicter « Sa » volonté aux systèmes de plus en plus complexes qui l’englobent (et que nous découvrons à peine) (4) !

Les écologistes – et bien d’autres – n’ont besoin d’aucune domination pour comprendre et faire des projets; il leur suffit de penser en termes d’adaptations à la complexité de l’individu, des sociétés, des écosystèmes. D’ailleurs, nous partageons cette attitude avec un très ancien courant philosophique bien connu pour son refus de la domination. Comme le souligne Bookchin, « l’écologie sociale » et « l’écologie naturelle » concourent à faire de l’écologisme un mouvement profondément libertaire : « parce que c’est une science qui intègre et qui synthétise (…), si l’on en tire toutes les implications, (l’écologie) rejoint, en gros, la critique anarchiste de la société« .

Nous voici bien loin de la réduction dérisoire dont ACTUEL et confrères font le portrait !

N’est-ce pas parce que l’écologie est irrécupérable par les mentalités, les idéologies, les intérêts – toutes structures dominantes -, parce qu’elle prononce leur condamnation définitive, que l’écologisme et les autres élans de l’intelligence auxquels l’écologie apporte une force supplémentaire (féminisme, régionalisme, pacifisme, courant auto-gestionnaire, etc…) ont été cassés par les arrivistes et les émissaires des politiciens ? Et ne serait-ce pas pour tenter de clouer une seconde fois la porte de l’avenir qu’Actuel s’efforce de discréditer les écologistes en manipulant ses lecteurs ?

Alain-Claude Galtié

14 octobre 1991

(1) dans un mouvement écologiste, c’est la dynamique de l’ensemble des dynamiques individuelles qui devrait avoir un effet d’entraînement.

(2) depuis quelque 4 milliards d’années, la vie a développé des dynamiques plus propices au « brassage » -c’est à dire: à la circulation de l’information- que celles qui se traduisent par la souffrance et la destruction !

(3) « l’Homme« … « On a reporté sur l’Homme tout ce qu’on a enlevé à Dieu, et la puissance de l’Humanité s’est accrue de tout ce que la piété a perdu en importance: l’Homme est le dieu d’aujourd’hui et la crainte de l’Homme a pris la place de l’ancienne crainte de Dieu. Mais comme l’Homme ne représente qu’un autre Être suprême, l’Être suprême n’a subi en somme qu’une simple métamorphose, et la crainte de l’Homme n’est qu’un aspect différent de la crainte de Dieu. Nos athées sont de pieuses gens.« 

Max Stirner (1806-1856), L’Unique et sa propriété

L’absolutisme de cette nouvelle abstraction a été substitué à la reconnaissance de la diversité (l’individu, les sociétés, l’espèce, les autres…).

(4) D’ailleurs, c’est cette volonté de dominer la nature et cet « Homme » déifié qui font, inéluctablement, dériver les matérialistes vers la domination de leurs semblables.

Références bibliographiques

de George ORWELL

1984, Gallimard

de Henri LABORIT

L’homme imaginant, 10-18, 1970

L’agressivité détournée, 10-18, 1970

L’homme et la ville, Flammarion, réédition 1977

La nouvelle grille, Gallimard, 1974

Éloge de la fuite, R. Laffont, 1976

La colombe assassinée, Grasset, 1983

Dieu ne joue pas aux dés, Grasset, 1987

de Max STIRNER

L’Unique et sa propriété, Ed. L’Age d’Homme, Lausanne

de Murray BOOKCHIN

Vers une technologie libératrice, Ed. Parallèles, 1976 (épuisé)

Pour une société écologique, Christian Bourgois, 1976 (épuisé)

Spontanéité et organisation, Ed. Noir et Rouge, 1978

Lettre ouverte au mouvement écologiste, article paru dans la Revue de la presse anarchiste internationale, janvier 1982

The ecology of freedom, Cheshire Books, 1982

Sociobiologie ou écologie sociale ?, Atelier de création libertaire (5, rue Diderot, 69001 Lyon), 1983

Qu’est-ce que l’écologie sociale ?, Atelier de création libertaire, 1989.

de Guy HOCQUENGHEM

Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, Albin Michel, 1986

Depuis le vomi dont ACTUEL s’est fait le diffuseur, l’analyse de Guy Hocquenghem a été rééditée avec une préface de Serge Halimi :

Avant de mourir, à 41 ans, Guy Hocquenghem a tiré un coup de pistolet dans la messe des reniements. Il fut un des premiers à nous signifier que, derrière la reptation des « repentis » socialistes et gauchistes vers le sommet de la pyramide, il n’y avait pas méprise, mais accomplissement, qu’un exercice prolongé du pouvoir les avait révélés davantage qu’il les avait trahis. On sait désormais de quel prix – chômage, restructurations sauvages, argent fou, dithyrambe des patrons – fut payé un parcours que Serge July résuma un jour en trois mots : « Tout m’a profité. »

Cet ouvrage qui a plus de quinze ans ne porte guère de ride. L’auteur nous parle déjà de Finkielkraut, de BHL, de Cohn-Bendit, de Bruckner. Et déjà , il nous en dit l’essentiel.

On ignore ce qu’Hocquenghem aurait écrit d’eux aujourd’hui, on sait cependant que nul ne l’écrira comme lui. Lui qui appartenait à leur très encombrante « génération » – celle des Glucksmann, des Goupil, des Plenel et des Kouchner – se hâtait toutefois de préciser : « Ce mot me répugne d’instinct, bloc coagulé de déceptions et de copinages. » Il aurait souhaité qu’elle fût moins compromise, en bloc, par les cabotinages réactionnaires et moralistes de la petite cohorte qui parasita journaux et « débats ». Il aurait essayé d’empêcher qu’on associât cette « génération »-là aux seuls contestataires qui ouvrirent un plan d’épargne contestation avec l’espoir d’empocher plus tard les dividendes de la récupération.

Renonçant aux apparences de la bienséance, de la suavité bourgeoise propres à ceux qui monopolisent les instruments de la violence sociale, Guy Hocquenghem a usé de la truculence, de la démesure. Il a opposé sa clameur à la torpeur des temps de défaite. Son livre éclaire le volet intellectuel de l’ère des restaurations. Les forces sociales qui la pilotaient il y a vingt ans tiennent encore fermement la barre ; les résistances, bien qu’ascendantes, demeurent éparses et confuses. Nous ne sommes donc pas au bout de nos peines. Les repentis ont pris de l’âge et la société a vieilli avec eux. L’hédonisme a cédé la place à la peur, le culte de l’« entreprise » à celui de la police. Favorisés par l’appât du gain et par l’exhibitionnisme médiatique, de nouveaux retournements vont survenir. Lire Guy Hocquenghem nous arme pour y répondre avec ceux qui savent désormais où ils mènent.

Serge Halimi

Parution : 16/04/2003
ISBN : 2-7489-0005-7

rebond sur la préface de Serge Halimi

Plus de dix ans avant Guy Hocquenghem qui, alors, fricotait avec les maos participant au sabotage de la nouvelle gauche écologiste, fort de quelques années de baroud en plus, Pierre Fournier nous avait prévenus, nous les petits jeunes qui nous étions lancés, enthousiastes, dans le mouvement des alertes et des alternatives…

Pierre Fournier, qui avait juste eu le temps de fonder La Gueule Ouverte avant de s’éteindre prématurément, a quand même eu le temps de s’exaspérer contre ces « connards de gauchistes » dont il ne savait pas encore pourquoi ils semaient partout la confusion. Quoique… « Mai 68, c’était Marcuse. Ces connards ont cru que c’était Lénine« . Il commençait à deviner. « Il y a deux ans, « la pollution » faisait bien rigoler les professionnels de l’agitation politique, et Charlie Hebdo faisait bien rigoler les « spécialistes de l’environnement ». Maintenant, les uns et les autres se sentent dépassés sur leur gauche et ne songent plus qu’à récupérer le truc » (Industries, pollutions et lutte écologique »). « Je veux vivre et que ça leur fasse envie » lui écrivait un lecteur. Et, lui, de commenter : « C’est dangereux, tu sais. Ta joie de vivre ils te la feront rentrer dans la gueule. Ya peut-être plus de contagion possible. On a coupé toutes leurs racines, la volonté de vivre ne passe plus. Ya plus que la destruction, l’auto-destruction qui les fascinent. On perd son temps à leur expliquer qu’ils vont crever, s’en foutent pas mal de crever, au contraire, ils rêvent que de ça, ils veulent que ça (…) Tuer, être tué, ya plus que ça qui peut les faire jouir. Sadisme et masochisme. Tas d’impuissants« .

Concierges de tous les pays, unissez-vous, Charlie Hebdo n’° 28, 31 mai 1971.

Il s’agit de l’article où Fournier parle de La Semaine de la Terre.

Avec ce très spécial numéro d’ACTUEL, 20 ans après avoir prêté la main à l’assassinat du premier mouvement écologiste par les entristes des grandes fortunes et la gauche convertie au capitalisme, d’ex-gauchistes devenus « notaires » comme leurs parents jouaient à nouveau les séides de la réaction. Je ne m’étais pas trompé de cible ! Et, comme à la grande époque, ils servaient la gauche convertie au capitalisme mondialisé, et celui-ci, en aidant à éliminer la culture et la critique réglées sur le bien commun. Il est, d’ailleurs, remarquable que, d’ACTUEL à l’Appel d’Heidelberg, en passant par Ferry et quelques autres, la nouvelle offensive anti-écologiste du début des années 1990 se soit développée après la réémergence d’un mouvement alternatif enrichi par l’analyse des manipulations et des trahisons précédentes. Ayant été témoin de celles-ci, il était logique qu’ils me mettent en vedette pour tenter de me décrédibiliser.

Bien entendu, ce droit de réponse n’a pas été publié par Actuel.

Comme le souligne Courant Alternatif, la campagne de publicité qui a accompagné la sortie de ce brillant numéro a mobilisé les plus grands panneaux d’affichage dans toute la France. Belle débauche de moyens pour un journal qui, alors, était en grandes difficultés financières !

Derrière cette manipulation à laquelle s’est complaisamment prêté un Christophe Nick qui, plus tard, se réclamera de l’écologisme (!), il y avait encore Michel-Antoine Burnier et Jean-Luc Bennhamias (un proche de Dominique Voynet). Le gouvernement Jospin de cohabitation offrira, à ce dernier, un siège au Conseil Économique et Social. Cette distinction récompense les auteurs d’actions remarquables (en effet !). Jean-Luc Bennhamias poursuivra sa carrière en devenant Secrétaire National des Verts, puis vice-président du MODEM, le parti de François Bayrou, lui-même gravitant dans l’orbite de la Commission Trilatérale. À lui seul, le parcours de Bennhamias dit tout de la supercherie initiale.

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Le PS contre les Verts

Courant Alternatif n° 14, Organisation Communiste Libertaire, décembre 1991

PS, Tontonmaniaques, profiteurs de ces dix années de règne, sentent que le vent tourne. Les voilà prêts à tout pour sauver quelques meubles et rester encore un peu au pouvoir, quitte à offrir un peu plus de possibilités au Front National de leur succéder un jour. Pour cela il leur faut absorber ou détruire tout ce qui se situe en dehors du consensus, et les moyens utilisés leur importe peu. C’est le sens des opérations menées en ce moment en direction des Verts. Des Verts qui ne sont pas notre tasse de thé, les lecteurs de CA le savent. Il n’empêche qu’on ne peut accepter qu’un débat politique, voire des polémiques, soient remplacés par des calomnies et des manoeuvres de la pire espèce.

La France pue la fin de règne, et l’odeur vient de la rose ; la nouvelle classe politique à qui l’électorat avait, du bout des doigts, accordé en 81 quelque crédit pour n’être pas encore mouillée dans la corruption et la pourriture politicienne du pouvoir se révèle être digne de ses prédécesseurs giscardiens et gaullistes. Intrigues de couloirs, magouilles de bas étages, scandales en tous genres affluent. Fausses factures et sang contaminé valent bien quelques diamants ou avions renifleurs !

On entend, ici ou là, de plus en plus de responsables socialistes qui commencent à paniquer et à craindre pour leur sinécure, déclarer que ce fut une erreur que de ne pas avoir, en son temps, accordé le droit de vote aux immigrés ; d’avoir trop mis l’accent sur la rigueur et les cadeaux faits aux entreprises ; d’avoir laissé le capital régenter à lui seul la vie économique et d’avoir laissé s’installer la précarité et la pauvreté ; de n’avoir pas véritablement mené une politique de l’environnement ; bref de n’avoir pas été assez socialiste ! Certes mais ils ne l’ont pas fait et les voix qui s’élevaient à l’époque pour condamner la politique suivie étaient rares ! Cela suffit à les juger.

Une fois le pouvoir conquis en 81, le PS n’a pensé qu’à séduire le patronat et à installer ses amis dans les fauteuils du pouvoir. À force d’avoir mis les chômeurs et les travailleurs dans la situation de n’avoir rien à défendre, puisqu’on ne leur accordait plus rien, les socialistes ont été les artisans patients de la passivité et de l’individualisme dont ils se plaignent maintenant et dont nous tous subissons les conséquences.

L’un des Jokers du PS, pour tenter de sauver ce qui peut l’être encore, est de lancer une grande opération « rassemblement des démocrates contre Le Pen« . Raviver la flamme antifasciste, véritable miroir aux alouettes pour démocrates ne voyant pas plus loin que leur nez, sera pourtant, cette fois, beaucoup plus difficile qu’auparavant, pour deux raisons :

  • Il apparaît clairement que c’est ce même PS qui a largement contribué à la montée du FN à des fins électorales.
  • Le PS n’a plus rien à proposer sinon à se morfondre sur ce qu’il n’a pas fait et aurait dû faire.

L’une des facettes de cette politique concerne les écolos en général et les Verts en particulier.

L’électorat Vert a toujours été en majorité de gauche et s’est toujours finalement reporté assez bien sur les candidats socialistes par le passé. Mais ce qui était vrai avec un parti à 5 ou 7 % le sera-t-il encore avec 10 ou 15 % ? Car bien évidemment plus le parti Vert prend de l’ampleur électoralement et plus ses électeurs ont des chances de provenir de champs politiques plus diversifiés. C’est ce qu’ont bien compris les partis de la droite traditionnelle, le RPR en particulier, qui peuvent, sans rire, leur faire des appels du pied.

Le PS se voit donc contraint de mener vis à vis des Verts une offensive à deux facettes : la séduction et le dénigrement. Pour l’une comme pour l’autre, ils disposent de deux types d’atouts : ceux qui sont extérieurs au parti écologiste et ceux qui sont en son sein même : la tendance dite de gauche et qui voudrait bien voir les Verts intégrés dans une sorte d’union de la gauche ou d’union républicaine.

La séduction c’est évidemment tous les discours « plus écolos que nous tu meurs » ; c’est l’espérance d’une dose de proportionnelle ; ce sont les palinodies de Génération-écologie et de l’ignoble Brice.

Le dénigrement c’est de lutter contre ceux qui veulent que les Verts maintiennent le cap « ni droite ni gauche » en laissant soupçonner qu’ils font ainsi le jeu de Le Pen ; ce sont les pressions extérieures et les sommations à forcer les Verts à se déterminer par rapport à Le Pen (pour les socialos il faut absolument que la vie politique se détermine par rapport à lui, quitte à lui apporte du grain à moudre) ; ce sont enfin les insinuations concernant l’infiltration fasciste chez les Verts afin d’en dégoûter une partie de l’électorat celui qui est « de gauche quand même« ) et de mettre en difficulté ceux qui refusent à priori une alliance politique.

Ce fut d’abord l’affaire Brière, et ce fut plus récemment le numéro spécial d’Actuel d’octobre 1991 : « Attention, les Kmers Verts, les écolos fachos ! » Un numéro dont la promotion se fit à coups d’affiches publicitaires de grande envergure, sur les murs des grandes villes, un procédé bien nouveau pour ce mensuel qui ne dispose pas, habituellement, d’une telle surface financière et publicitaire !

Un article absolument incroyable, non pas à cause des idées et des thèses qu’il défend (il en a parfaitement le droit), mais par la manière dont il le fait : un tissu de calomnies, de mensonges, de textes truqués et manipulés, de citations tronquées, et de considérations de la pire démagogie. En fait un article rédigé exactement de la même manière, avec les mêmes ingrédients et les mêmes mécanismes journalistiques, que ceux que l’on peut trouver dans Minute, dans les reportages du « Choc du mois » ou dans la presse à sensation en général.

Par exemple, Actuel s’appuie sur l’exemple du Var et plus particulièrement du midi méditerranéen où des gens d’extrême droite avaient lancé une OPA sur le parti écologiste vers 1987, évinçant alors les militants traditionnels. A l’époque, Courant Alternatif s’était fait l’écho de cet épisode et signalait qu’ailleurs aussi des membres des Verts étaient plutôt issus de la bonne droite du terroir que de la gauche socialisante. Nous montrions alors que c’était compréhensible dans la mesure où l’idéologie écologique pouvait être une composante de la mystique fasciste (symbiose avec la nature, ordre naturel, etc.) et qu’il importait, comme le montrait d’ailleurs déjà Bookchin, que l’écologie soit sociale et politique. Nous n’en concluions pas pour autant que les Verts étaient un parti fasciste ! À l’époque, comme ils le rappellent d’ailleurs, Bizot, le directeur d’Actuel, et Christophe Nick qui signe le dossier en question votaient Vert ! Mais il est vrai qu’à l’époque on pouvait sans risque soutenir Tonton… et avoir la coquetterie de ne pas voter pour son parti… au premier tour. Maintenant, plus question de digression et les tontonmaniaques de toujours doivent resserrer les rangs et frapper sur ce qui les séduisait. Mais il est vrai, comme le rappelle Galtié, que ces gens sont des spécialistes de la volte-face et des théoriciens de la mode changeante.

Autre exemple, voilà ce que reproche, in-extenso, Actuel à Galtié, pour preuve de son écolo-fascisme !

«  Trop de Verts comme les Bolcheviks, pensent qu’eux seuls sont conscients des vrais problèmes. Les masses humaines ne comprennent rien… Dans un texte délirant, classé sous la rubrique « idées » de la dernière livraison d’Écologie info, Alain-Claude Galtié explique pourquoi :

« Gosses temporairement perturbés des bourgeoisies, arrivistes de toutes les couches sociales, malfaisants de toutes les puanteurs… Voilà la première ligne des systèmes destructeurs. C’est elle qui a la charge de saboter toute ouverture et toute créativité ». Et plus loin : « Crétins, malades ou francs salauds de toujours, les « ex » (ex-gauchos, ex-écolos, ex-féminos…) et autres arrivistes-gagneurs se comportent dans l’écosystème social comme le font leurs modèles – les puissants – à tous les niveaux de l’écosystème terrestre (…). Aurons-nous la lucidité et la force de précipiter la mort de cette idéologie nuisible et de ses structures avant qu’elles n’emportent tout dans leur naufrage ? » Ça vaut les décrets contre les « puants de la neuvième catégorie » de la Révolution culturelle de Mao ! « 

Je ne sais pas si Galtié est un fasciste ou un bolchevik déguisé. Mais en tout cas rien dans ce qui est cité de lui dans la livraison d’Actuel ne permet de l’affirmer. Et pourtant c’est ce qui est plus que suggéré par le contexte de ce long article. Et si des relents de tchékistes existent quelque part c’est plutôt dans le journal de Bizot qu’on peut les trouver.

Courant Alternatif décembre 1991

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Le déballage d’ordures par Actuel* a été précédé et suivi par une litanie d’interventions et de publications aussi excessives qu’infondées. Beaucoup y ont laissé libre cours à leur aversion viscérale pour… l’empathie à l’égard du vivant. Une disposition préparatoire à l’incompréhension de l’interdépendance de toutes les parties du vivant (et de la symbiose) et qui mériterait une longue, très longue analyse ! On y a particulièrement remarqué Marcel Gauchet, Luc Ferry et Alain Minc (tous de la Fondation Saint-Simon, cela va de soi **), Guy Béney (encore dans Actuel et dans Libération), Corinne Lellouche (L’Écho des Savanes), Éric Conan (Esprit), Alfred Grosser, Jean-Claude Levy, Claude Allègre, et une nuée de missionnés et d’irréfléchis qui se sont déchaînés sur les lanceurs d’alerte baptisés « catastrophistes » ***. Parmi eux, on trouve même un Dominique Bourg affirmant un peu partout son amour de l’individualisme, de l’anthropocentrisme, en somme de la culture impérialiste, et mettant en garde contre ces « dangereux » écologistes aspirant à une civilisation pacifiée. Un tel discours haineux serait, hélas, assez banal si, en dépit de son apologie du livre manipulateur de Luc Ferry, son auteur ne passait maintenant pour un « penseur de l’environnement » (comme Denis de Rougemont !). N’oublions pas Michel Onfray qui, dans Les babas cool du Maréchal (Nouvel Observateur du 7 mai 1992), refait le coup de l’assimilation de la culture ouverte sur les autres et le vivant à l’esprit réactionnaire, voire fasciste :

«La modernité tu refuseras, la pureté tu rechercheras, le passé tu idéaliseras, tes racines tu chériras la nature tu vénéreras, la culpabilité tu cultiveras » : en six commandements, l’idéologie verte dessine une vision du monde avant tout pétainiste Quelque deux siècles plus tard (après Rousseau), après Vichy, les tenants d’une bonne et belle nature emboucheront les mêmes trompettes. Les airs de concert seront les mêmes. À peine aura-t-on instillé un peu de vocabulaire moderne. Et l’on stigmatisera alors la croissance, la productivité et la consommation. Nouvelles scolastiques pour de nouvelles époques. (…)

* Christophe Nick a-t-il compris ce qu’on lui faisait faire ?

** Enquête sur la Fondation Saint-Simon : Les architectes du social-libéralisme

https://www.monde-diplomatique.fr/1998/09/LAURENT/4054

*** Si catastrophistes il y a, ce sont bien ceux qui depuis la fin des années soixante dépensent une énergie considérable (et l’argent public) pour censurer et harceler systématiquement les défenseurs du vivant – ceux qui veulent prévenir – tout en niant les alertes les unes après les autres. Ce sont ces esprits obscurcis par l’appétit de pouvoir et la haine qui ont permis la poursuite des conduites catastrophiques pour les hommes et la biosphère. Nous leur devons beaucoup.

Tous ces gens ont eu les faveurs des media classiques, du Figaro à Politis (encore un remarquable dossier en mars 90), tandis que les écologistes accusés de tous les maux voyaient leurs droits de réponse jetés à la poubelle. D’autres encore n’allaient pas tarder à se distinguer, comme Pascal Bruckner et André Comte-Sponville.

L’un des monuments de l’anti-écologisme primaire, quintessence de l’idéologie anti-nature poussée en avant par la Fondation Saint-Simon et les agences de la globalisation capitaliste.

Il serait très intéressant d’analyser dans quelle mesure l’incompréhension à peu près totale de la culture écologiste (arcadienne) par les gauchistes (en majorité) et les opportunistes qui ont pris la place des acteurs du mouvement a joué un rôle dans le développement de tous ces anathèmes absurdes… Mais tous sont figés dans le déni et la honte, ou l’envie de continuer à profiter de la situation.

Dominique Bourg

Isabelle Stengers

 Isabelle Stengers s’affiche maintenant comme écoféministe – comme Françoise d’Eaubonne qui se prétendait telle après avoir donné un bon coup de main aux nervis du système pour écraser la nouvelle gauche écologiste ! Mais en 2015 elle refuse tout échange sur la nouvelle gauche qui a, pourtant, précédé de 20 ans le mouvement féministe américain qui la passionne. Sans doute n’est-elle pas fière de sa triste contribution à la grande offensive anti-écologiste du début des années 1990 aux côtés des Ferry, Bourg, Minc, Bruckner, Appel de Heidelberg, etc. Dommage, on aimerait beaucoup l’entendre là-dessus.

Depuis 2015, cependant, elle se prend à rêver aux propositions de la nouvelle gauche dont la quintessence semble être, pour elle, L’An 01 de Gébé. Un rêve bien léger puisqu’elle regrette que Macron ne se soit pas inspiré de l’esprit du bien commun !

André Comte-Sponville

Alfred Grosser

Éric Conan

Georges Ballandier

 

Jean-Claude Levy

Une agression en règle par un anarchiste qui ignore la nouvelle gauche écologiste

Et puis,

on a même eu droit à ça :

et à ça :