1928 – 2009, Henri Pézerat, une vie de combats

1928 – 2009, Henri Pézerat, une vie de combats

Pour Henri, soutenir était évident

L’hommage du journal L’Humanité

Un grand frère de lutte, notre ami Henri Pézerat, nous a quitté.

Documentation

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Pour Henri, soutenir était évident

Henri m’avait spontanément aidé à diagnostiquer les pollutions par amiantes d’une institution bien de chez nous : la Comédie Française. C’était à la fin de l’année 1978. C’était au début d’une longue histoire au cours de laquelle il m’a souvent aidé.

Henri Pézerat était ouvert et sensible. Capable d’empathie et d’indignation, il n’avait pas suivi les chemins carriéristes de la facilité et de la soumission au système mortifère. Il s’était mis tout entier au service du bien commun. Il était un homme debout, dressé contre l’abomination des profits réalisés au détriment de la vie, dressé contre le laisser-faire et le j’m’enfoutisme. Il était de ceux qui élèvent le débat et la pratique. Disponible et sympathique, il offrait son temps et sa compétence pour féconder les consciences et mobiliser les volontés. Attentif, avec l’intelligence de la solidarité, Henri Pézerat allait au-devant des victimes et de leurs familles pour les aider et recueillir l’information. Il travaillait en complémentarité et en réciprocité avec tous les acteurs de la lutte contre les polluants. Il tentait de les mettre en relation, entre eux et avec d’autres. Il a ainsi beaucoup contribué au développement d’un mouvement pour la prévention des atteintes à la santé par les conditions de travail, mouvement fait des volontés et des savoirs associés, qui avait réussi à changer les règles en bousculant les lobbies criminels.

Malheureusement, il a aussi assisté à l’étouffement des dynamiques holistiques constitutives du mouvement sous le poids de hiérarchies de pouvoir reconstituées jusque dans les associations de victimes (son propre constat). Une régression fréquente qui fait sombrer les mouvements les plus prometteurs – ce qui est arrivé au mouvement alternatif. Malgré son autorité (de compétence) et ses efforts, Henri Pézerat n’avait rien pu y changer, et cela avait assombri ses dernières années. Capitalisation des pouvoirs d’être et d’agir confisqués aux acteurs de la lutte, détournements d’informations et d’idées, rupture des interrelations, non-communication, perte d’expériences et de compétences, invention de cloisonnements hiérarchiques et de concurrences là-même où avaient foisonné les interrelations, etc. Cette dérive vers l’échec collectif est mal identifiée, donc peu dénoncée et encore moins combattue au pays des droits de… la hiérarchie, de l’élitisme et de la poudre aux yeux.

Après plus de trente-cinq ans de travail sur les pollutions de l’amiante et tant de victimes effacées dans l’indifférence et les compromissions, Henri Pézerat n’aura même pas eu la satisfaction de voir s’esquisser le procès collectif tant attendu pour établir les responsabilités d’hier et d’aujourd’hui, et prévenir de nouveaux malheurs.

Alain-Claude Galtié

2009

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L’hommage du journal L’Humanité

Décédé lundi, ce chercheur au CNRS était l’un des pionniers de la lutte contre l’amiante. Grand scientifique, ancien chercheur en toxicologie au CNRS et à l’université de Jussieu à Paris, Henri Pézerat, décédé lundi à l’âge de quatre-vingt-un ans, a consacré une grande part de sa vie au combat contre l’amiante. Il était l’un des fondateurs, en 1995, de la branche française du réseau international Ban Asbestos (pour l’interdiction de l’amiante) et, un an plus tard, de l’ANDEVA, l’Association Nationale de Défense des Victimes de l’Amiante, toujours actives aujourd’hui.

Henri Pézerat milita jusqu’à sa mort pour faire connaître les dangers de l’amiante, de la création du premier comité anti-amiante, à Jussieu, en 1977, jusqu’à l’affaire du porte-avions Clemenceau – bourré d’amiante, et qui devait être initialement démantelé en Inde, au mépris de la sécurité environnementale et humaine la plus élémentaire. Il avait notamment fourni les arguments scientifiques permettant aux associations de gagner devant le Conseil d’État le retour du Clemenceau. L’une de ses proches, Nicole Voide, du réseau Ban Asbestos, rapporte qu’Henri Pézerat, après la fondation de l’ANDEVA, « a parcouru toute la France, se rendant dans les usines pour expliquer les dangers de l’amiante et mobiliser les salariés afin de créer un réseau départemental. À la retraite depuis une quinzaine d’années, il continuait d’aider et de conseiller les victimes de l’amiante et de s’investir sur les questions de santé au travail, notamment l’exposition professionnelle aux « autres fauteurs de morts ».

L’amiante, matériau hautement cancérigène, fut massivement utilisé dans la construction à partir du XIXe siècle, jusqu’à son interdiction en France, en 1997. L’exposition à l’amiante et sa présence encore répandue dans les bâtiments devraient causer la mort de 100 000 personnes d’ici à 2025, selon l’Agence française de sécurité sanitaire, de l’environnement et du travail (AFSSET) « Henri Pézerat fut de ceux qui mirent leur savoir au service des victimes du travail et de l’environnement professionnel », a rappelé le Parti communiste français dans un communiqué. Annie Thébaud Mony, chercheuse à l’INSERM, également membre du réseau Ban Asbestos, nous a déclaré : « C’est lui qui a permis l’interdiction de l’amiante en France, que la discussion sur la santé au travail s’ouvre enfin dans des conditions où, je l’espère, il ne sera plus possible de refermer le couvercle. »

Victoire Tuaillon

Humanité Quotidien, 19 Février 2009

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Un grand frère de lutte, notre ami Henri Pezerat, nous a quitté.

par l’Association Toxicologie-Chimie (ATC)

La disparition d’Henri est pour l’Association Toxicologie-Chimie une perte irremplaçable tant l’originalité de son écoute attentive, permanente et surtout humaine va nous manquer cruellement. Il ya seulement quelques jours, il avait accepté de nous préparer quelques fiches pour notre futur site sur les produits minéraux fibreux en particulier les Amiantes.

Henri a été un des tout premier en France à dénoncer le scandale de l’Amiante et à lutter âprement pour son interdiction à l’échelle mondiale, n’hésitant pas à s’attaquer à de puissants lobbies mondiaux (2). C’est Henri, qui m’avait invité il y a plus de 25 ans (1979-1980) à travailler avec les Amis de la Terre sur les dangers du Plomb. À cette époque le Plomb tuait les enfants des appartements insalubres peints à la Céruse (le blanc de plomb, un poison mortel…) sans compter que la population des villes à grande circulation automobile était soumise à l’époque aux émanations très neurotoxiques de l’essence contenant du Plomb tétraéthyle et qui agissait à faible dose sur le développement cérébral des enfants… avec toutes les conséquences à long terme que l’on peut imaginer.

Ensuite Henri m’entraîna à Jussieu dans les premières réunions du Comité Amiante, où j’ai appris à travailler avec les militants qui jetèrent les bases d’un combat exemplaire sur un des problèmes majeurs de santé publique de notre pays qui, à l’époque refusait obstinément de le reconnaître.

Aussi lorsque nous avons démarré il y a tout juste vingt ans en 1989 le 1er cours de Toxicologie au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM de Paris) il fut l’ un des tout premiers intervenants venu enseigner avec passion et

surtout compétence les effets pervers des fibres d’Amiante et nous apporter les bases de la Toxicochimie minérale, dans laquelle il s’était totalement impliqué.

La Toxicochimie, une approche moléculaire de la Toxicologie, qui s’appuie sur les relations entre la structure chimique et l’activité toxique et que nous avions proposé pour les composés organiques(3) a été reprise par Henri pour les

produits minéraux (4).

Henri et son équipe, ont été en particulier, les premiers au monde à mettre en évidence les propriétés de surface des Amiantes en milieu biologique. C’est en fait la présence en surface de dépôts catalytiques de Sels ferreux, (Fe2+) qui va permettre la réduction électron après électron, du Dioxygène (O2), lequel est omniprésent dans les poumons. Ce sont les entités oxygénées libérées dans cette réduction mono électronique qui vont être responsables des propriétés inflammatoires et cancérogènes de plusieurs Amiantes (5).

Lorsque des enseignements démarraient sur les risques chimiques, par exemple à l’Université Paris Sud d’Orsay, mais aussi dans bien d’autres pôles d’enseignements, c’est encore Henri qui assurera la formation sur les dangers des substances fibreuses et d’autres produits minéraux toxiques rencontrés dans le milieu de travail… car Henri était avant tout très soucieux de la santé des travailleurs confrontés à des produits chimiques.

Ensuite nous n’allons plus nous quitter, car Henri nous a toujours soutenu, que se soit lors de nos journées annuelles consacrées à « Toxicité et Société » ou aux différentes formations que nous avons été amenés à développer… sa très

forte personnalité étant toujours un excellent gage d’animation lors de ces rencontres scientifiques.

Henri a été de tous les combats liés à l’Amiante et aux effets toxiques d’autres substances chimiques rencontrées en milieu de travail, mais aussi dans la vie de tous les jours et dans l’Environnement.

J’ai toujours admiré sa grande rigueur scientifique, sa disponibilité totale que j’ai pu mesurer jusqu’en Nouvelle-Calédonie où il a soutenu les militants locaux impliqués dans la reconnaissance des maladies de l’Amiante.

Cet Amiante, sous forme de Trémolite, se trouve être un contaminant environnemental très préoccupant, car affleurant dans certaines zones de la Nouvelle-Calédonie, lequel contamine les populations environnantes, augmentant les mésothéliomes parmi la population autochtone.

Avec Henri notre collaboration a toujours été totale et sans jamais une anicroche. Pourtant les sujets concernant la toxicité, où nos vues auraient pu être différentes étaient nombreux, mais à chaque fois il arrivait à me convaincre des réels dangers de tel ou tel produit, même si au départ j’étais parfois un peu sceptique.

L’une de nos dernières collaborations concernait les effets néfastes de l’Aluminium (sous forme cationique) dans l’eau de boisson : par exemple ses effets neurotoxiques à long terme qui peuvent accélérer le vieillissement cérébral en particulier dans la maladie d’Alzheimer. Henri était convaincu que la nature des espèces chimiques de l’Aluminium présentes dans l’eau devait être un des facteurs importants de la pénétration par voie orale de cet élément dans l’organisme. Des travaux récents semblent lui donner raison et comme sur beaucoup d’autres sujets sur lesquels il s’était investi, il n’aura pas eu la satisfaction de voir qu’il était un précurseur et qu’il avait raison.

Chimiste cristallographe reconnu, Henri était devenu au cours de ces dix dernières années un Toxicochimiste de renommée internationale, alliant une parfaite connaissance de la chimie minérale et une approche de la toxicologie très moderne.

En effet si je devais résumer son combat pour la Prévention contre les risques chimiques, il me semble qu’il symbolise totalement ce que doit être un modèle de Lanceur d’Alerte : Compétent, acharné dans ses convictions, parfois obstiné et surtout profondément humain, donc à l’écoute des autres en particulier les plus défavorisés. Ce sont ses qualités tout à fait exceptionnelles qui ont fait d’Henri un précurseur hors pair parmi les Lanceurs d’Alerte. Nous lui en sommes tous profondément reconnaissants.

Tous ses amis qui ont mené avec lui les innombrables combats pour l’amélioration de la Santé au Travail le remercient de tout cœur et ne sont pas prêts de l’oublier, car il fut pour nous tous un modèle et un très grand Ami, fidèle en Amitié. (…)

Paris, le 18 février 2009.

André Picot, Président de l’ATC, Maurice Rabache, le Bureau, les Membres de l’ATC et ses Sympathisants.

http://atctoxicologie.free.fr/

notes

2. Pezerat H. Août 2008 – Le Chrysolote, une variété d’amiante, des études biaisées, des risques certains. Revue Préventique Sécurité n° 100 p30-35

3a Picot A, Gaignault J.C, Glomot R. Janvier 1984, Les principaux aspects des relations entre la structure moléculaire et la toxicité.

L’Actualité chimique 5, p22-28

3b Picot A, Octobre-Novembre 1993, Approche chimique de la toxicologie. Partie A. La Toxicochimie organique.

L’Actualité chimique 4, p51-60

4 Baudot Ph, Boisset M, Pezerat H, Picot A. Juin-Juillet 1996

Partie B. La Toxicochimie inorganique.

L’Actualité chimique 4, p51-61

5 Pezerat H. 1991

Mechanisms in fibre carcinogenesis ; p 387-395.

Dans Brown R.C et coll ; Plenum Press. New York

6 Pezerat H, Picot A. Février 2008.

Aluminium dans l’Eau et Maladie d’Alzheimer. « Une grave lacune

dans le plan Alzheimer »

Portail d’Information de l’Environnement

http://www.enviro2b.com

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Documentation

Henri Pézerat, l’homme de l’amiante

par Inès Léraud

Virginie DUPEYROUX pour « Amiante et mensonge : notre perpétuité. Journal de Paul et Virginie » (Ed. Vérone).