juin 1972 – Le féminisme détourné
juin 1972 – Le féminisme détourné
C’était une belle soirée d’été sur les terres de Saint-Germain des Prés. Mais une partie des écologistes parisiens s’étaient enfermée dans une salle pour mieux se connaître et envisager de nouvelles actions. La salle était un peu grande et guère confortable pour cette réunion. Pensez, une salle de danse ! Pourquoi une salle de danse, alors que nous pouvions disposer d’une vraie salle de réunion, avec grande table et chaises tout autour ?
Nous avions à peine commencé quand la porte s’ouvrit sur une troupe bruyante. Apparemment que des femmes. Et quelles femmes ! Des femmes qui chargeaient dans le couloir d’entrée. À leur tête, et avec une trogne revêche que je ne lui connaissais pas, une égérie du mouvement féministe : Françoise d’Eaubonne. Nous ne l’avions pas invitée. Ni elle, ni ses copines.
Également en 1972, Françoise d’Eaubonne monte à l’abordage de la tribune d’un congrès de psychiatres de la vieille école (probablement à San Remo) avec la même détermination qu’elle en a mis dans l’assaut contre les écologistes
Françoise s’effondra devant moi sur le plancher, sans même un bonjour ! Que venait-elle faire ? Et pourquoi débarquait-elle avec cette troupe ? Elle n’avait pas du tout l’air d’être venue pour jouer, ni pour parler émancipation. Loin de vouloir constituer un parti, nous avions toujours été ouverts aux contributions les plus diverses. Tout le monde pouvait venir à la plupart de nos réunions. Plutôt qu’un risque, nous y voyions la possibilité d’un enrichissement. Mais, ce soir-là, nous avions besoin de faire le point entre nous… Et ces dames ne semblaient pas être venues pour faire tapisserie. Elles étaient parties en guerre et, c’est sûr, nous allions en faire les frais.
« Françoise, c’est une assemblée générale de l’association, tu peux assister, mais pas participer« … Elle fit mine de me découvrir et ricana en engageant ses acolytes à le faire. La soirée commençait bien.
Nous n’eûmes pas le temps de demander plus d’explications. La porte céda sous la poussée d’un troupeau. Que des mâles qui se bousculaient pour passer le couloir. Tous étaient très échauffés et s’encourageaient mutuellement, comme s’ils se préparaient à se battre. Comme à la grande époque : une bande de spadassins déboulant sur le Pré-aux-Clercs pour un mauvais coup ! Enfin, spadassins… traîneurs de manches de pioches convenait mieux à ceux-là. En feignant d‘ignorer notre présence, sans un salut, ils s’effondrèrent bruyamment en remplissant l’espace.
Ça, on ne l’avait jamais vu. Qui étaient ces envahisseurs ? Que venaient-ils faire ?
Ensemble, féministes et spadassins étaient au moins une bonne quarantaine, donc plus nombreux que les écologistes présents ce soir-là. C’était sans doute un seul et même assaut, car Françoise d’Eaubonne et ses nonnes de combat n’étaient pas du tout surprises par l’irruption des autres. Au contraire, l’arrivée des seconds avait été saluée par les sourires satisfaits des premières. Pourtant, les rouleurs d’épaules ne ressemblaient guère aux sympathisants habituels du féminisme. Pas vraiment. Nous étions stupéfaits.
D’où sortaient tous ces gens ? Comment savaient-ils la réunion ? Qui les envoyait ?
Nous tentâmes de leur faire réaliser l’incongruité de leur présence et de leur comportement. Pourquoi étaient-ils là ? Pourquoi s’intéressaient-ils à nous, tout à coup ? Venaient-ils pour adhérer ? Non, ils n’étaient pas venus pour payer une cotisation. Quel dommage qu’ils ne nous aient laissé ni bulletins d’adhésions tardives ni procès-verbal de séance avec leurs noms ! Ils n’étaient pas non plus venus pour discuter. Cyniques et provocants, ils affichaient sans fard la volonté de nous assujettir, ou de nous casser. La morgue des nervis. « Camarades ! » gueulaient-ils ; et ils se lançaient dans des discours farcis de formules toutes faites pour tenter de nous faire taire, ou de nous impressionner. De dissimuler leur vacuité, surtout, car leur présence et leur comportement démentaient chacune de leurs prétentions.
Qu’avions-nous fait pour mériter cela ? Pour la nouvelle gauche française, cette soirée allait rester comme le premier acte de la révélation d’une grande tartufferie.
Nous nous étions réunis avec l’esprit de sympathie et d’ouverture de ceux qui partagent beaucoup, convaincus de vivre une évolution importante, impatients des nouveaux développements de la prise de conscience en cours, et c’est une société plombée par le nombrilisme et l’inconséquence, rancie par l’élitisme, stratifiée par une cascade de mépris et les partis pris d’un autre âge, qui nous tombait dessus. Cette brutalité, cette langue de bois aboyée, ces rodomontades… Des gauchistes ! Pourquoi ceux-là ? Nous n’avions pas de contacts. Même pas une détestation ou une bonne querelle à vider. Alors, que venaient-ils faire chez les écologistes ? Ils n’avaient jamais manifesté le moindre intérêt pour les dégradations et les périls qui nous mobilisaient, ni pour nos propositions alternatives, ne remettaient surtout pas en cause la mythologie du progrès, et ne partageaient pas exactement notre sens de la démocratie liée au bien commun dans sa conception la plus étendue (sans limitation anthropocentriste). Leur obsession était « la prise du pouvoir » ; même là où celui-ci était rejeté – surtout là ! La preuve : l’invraisemblable agression dont ils nous gratifiaient.
Quelle chance ! Nous pouvions vérifier les mises en garde de Fournier contre « ces connards » qui lui avaient pourri la vie plus d’une fois, et contre tous ceux qui se tenaient derrière (1). Vu la grossièreté de l’action, on peut penser que, ce soir-là, ils auraient mieux fait de s’abstenir. La suite nous démontrera qu’ils pouvaient tout se permettre sans craindre la moindre sanction.
D’évidence, l’alerte écologiste n’avait rien bougé en eux – ou pas dans le bon sens. Qu’étaient-ils capables d’en comprendre ? Vu ce qu’ils nous montraient, en plus d’un minimum d’information, il leur manquait quelques dispositions pour accéder à cette conscience; par exemple la sensibilité et l’attention aux autres.
Tous s’entendaient comme larrons en foire. La pantomime avait été bien réglée… C’était donc cela : un guet-apens. Un guet-apens sur le Pré-aux-Clercs ! Voilà pourquoi la salle de danse avait été choisie de préférence au local de l’association moins pratique pour le mouvement des troupes et où, assis autour d’une table, nous aurions pu accueillir les importuns dans une meilleure posture… La grande salle de danse remplissait enfin son office : elle était comble.
La camarade Françoise d’Eaubonne était méconnaissable, hautaine, butée, bornée, hostile. Elle me regardait comme si elle ne m’avait jamais vu et avait prêté l’oreille aux pires calomnies. Oui, celle-là même qui, avec Guy Hocquenghem, avait lancé le FHAR, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, quand nous préparions la Semaine de la Terre. Elle avait signé le Manifeste des 343 pour la légalisation de l’avortement un an avant. Comme beaucoup d’autres, dont Guy Hocquenghem, elle venait nous voir, sympa, normale, et nous avions des rapports qui semblaient de bonne intelligence. Comme nous, elle dénonçait les rapports de domination. Comme nous, elle voyait la relation entre l’exploitation des hommes et des femmes, et l’exploitation de la biosphère. Comme nous, elle ne portait donc pas le colonialisme et le capitalisme – y compris celui du pouvoir – dans son coeur. Comme nous, elle allait alerter contre la surpopulation qui démultiplie l’impact des prédations, etc. Enfin, c’est ce qu’elle prétendra en nous faisant écho… après nous avoir tourné le dos. Croyant qu’elle était vraiment sensible à l’alerte écologiste, que nous étions à peu près sur la même ligne, comme des parties complémentaires de la nouvelle gauche, nous la tenions pour une nouvelle amie… Et voilà qu’elle faisait volte-face (2) ! Mais pour rejoindre quoi ?
Comme possédée, Françoise d’Eaubonne ne parlait pas : elle gueulait les mêmes compliments que la bande des singes hurleurs *. À l’entendre, la « camarade » n’en avait pas après nous en tant que personnes. C’est ce que nous représentions qu’elle vomissait. Mais que représentions-nous ? Mystère.
* La bande leur convenait si bien que nous apprendrons plus tard qu’ils se désignaient ainsi entre eux : « la bande« .
Eaubonne était probablement la plus fourbe de nos agresseurs – ou, peut-être, la plus manipulée. En effet, quelque temps après, elle allait se prétendre « libertaire » et se réclamer de… l’alerte et de l’alternative écologistes ! « Écoféministe » osera-t-elle, en pompant allègrement chez ceux qu’elle avait voué aux Gémonies.
Là, ce soir de juin 1972, Eaubonne rompait avec la nouvelle gauche écologiste pour appuyer de toutes ses forces ce qu’elle prétendait dénoncer : le « système mâle » – le patriarcat – contre les écologistes. Qui plus est, elle n’avait pas de mots assez insultants pour condamner ceux qui, pourtant, devaient être ses meilleurs alliés. La féministe dressée contre les abus de pouvoir machistes voulait nous imposer des rapports de domination, à nous, nous qui ne l’avions pas attendue pour dénoncer, et le principe de domination, et ses conséquences sur les femmes et la vie ! Quelle magnifique démonstration. Complètement décrédibilisée la féministe : elle a été la première à poignarder l’écoféminisme avant même de prétendre le représenter. Et elle fourrageait rageusement dans la plaie.
Le commando qu’elle dirigeait correspondait à la description d’une action du FHAR menée à la même époque :
« En France, les tenants de la libération gaie frappent pour la première fois au début de l’année 1971. Regroupés au sein du burlesque Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), ils interrompent avec succès une tribune de radio, qui porte en ce 10 mars 1971 sur le thème: « L’homosexualité, ce douloureux problème »… Le gros du commando est alors constitué de lesbiennes, dont parmi elles de nombreuses militantes féministes (…) »
Une histoire courte de la révolution gaie (http://www.lespantheresroses.org/textes/liberation_gaie.htm).
Les FHAR et leurs copines féministes feront longtemps des gorges chaudes à propos de plusieurs de leurs actions commando (encore aujourd’hui), telle une intervention à l’Institut Catholique, contre un meeting de « Laisser les vivre » et lors d’une émission de Ménie Grégoire. Mais – n’est-ce pas étrange ? – ils ne se vanteront jamais de l’agression contre les écologistes. Curieux que des gens qui réclamaient la liberté d’être attentent à celle de ceux – rares – qui plaidaient l’émancipation ! L’explication serait-elle dans l’une de leurs proclamations de… avril 1971, juste après la Semaine de la Terre (dans Tout – un journal maoïste !) : « Aussi les homosexuels révolutionnaires sont-ils prêts à un effort autrement important : dresser, avec le concours de tous les autres révolutionnaires, un projet crédible de monde nouveau (…) Si les homosexuels se bornent à revendiquer leur liberté, cette demande seule ne sera pas révolutionnaire, et on peut imaginer qu’elle entrera un jour dans le champ de la récupération bourgeoise et réformiste » ? Un texte où est dénoncée l’hostilité de « beaucoup de gauchistes« … Alors que faisaient-ils ensemble ? Homosexuels révolutionnaires et féministes n’expliqueront jamais leur alliance avec ces gauchistes qu’ils/elles considéraient – à juste titre – comme « aliénés » avec déviances capitalistes. D’autant que nombre de ces « gauchistes » n’étaient autres que des capitalistes maladroitement maquillés. Apparemment, en seulement 1 an, la détermination première avait fait long feu. Avec la prétention « révolutionnaire« , la récupération bourgeoise et réformiste était déjà pleinement accomplie. Pour de tels bavards intarissables sur leurs exploits, quel silence sur le sujet ! Pour comble, toujours en juin 1972, les mêmes sortirent le premier numéro d’un journal donneur de leçons « révolutionnaires » : Le Fléau social. « Fléau social« , en effet !
Des gens que nous considérions comme des proches, accoquinés avec des ennemis du mouvement, prenant part à cette embuscade, et avec quelle conviction ! Tout se brouillait. Rien que cela aurait dû nous convaincre de sortir les armes ; enfin, vu leur consistance, quelques claques auraient suffi… si nous avions été éveillés aux magouilles « de gauche » et de droite. Mais, par définition, cela n’était pas dans notre culture ! Et c’était précisément pour cela, pour effacer la culture du bien commun inverse de leur culture de l’exploitation du vivant (autres hommes compris) qu’ils avaient été mobilisés. Effacer ce qui est différent est primordial pour changer l’avenir ; mais pas dans le bon sens : pour imposer une domination (le FHAR aurait dû le savoir). Nous verrons que la stratégie de l’effacement était déjà largement pratiquée, et qu’elle l’est encore.
1969-1973 – Pierre Fournier
Comme un seul, minimisant notre parole, notre action, nos expériences, les quarante volaient notre liberté de réunion et d’expression. Nous allions découvrir qu’ils volaient déjà notre identité. Quarante Voleurs nous crachaient leur mépris au visage et promettaient de nous effacer, tout en se réclamant de la liberté d’expression. C’est que, eux, ils étaient plus que nous. Ils nous le disaient les yeux dans les yeux (un métier !). Ils étaient plus révolutionnaires, ils étaient plus alternatifs, ils étaient plus féministes, etc. Mais ils nous faisaient tous et toutes un impeccable numéro de violence dominatrice – précisément ce que nous dénoncions comme étant cause de toutes les exploitations destructrices. Pas un qui s’étonne de l’absurdité de la situation, ni de l’outrance des propos. L’humour n’était pas leur fort. Pas la moindre manifestation de doute. Leur présomption était à la mesure de leur ignorance. Butés-bornés, menteurs. Incapables d’écouter les autres. Une meute à la curée ! Comme drogués, ils étaient dans une toute-puissance déconnectée de notre monde, un territoire fantasmé où tout est permis.
D’où leur venait cette arrogance ?
Et d’où tenaient-ils ce savoir-faire ? Car ils nous imposaient des injonctions parfaitement contradictoires qui allaient nous perturber longtemps, puisque nous ignorions tout des personnages qui les dirigeaient, ou manipulaient. Tout à l’alerte écologiste, à l’étude de notre sujet, et aux tentatives de promotion des alternatives, nous ignorions tout dudit savoir-faire et des jeux en vogue dans les lieux d’aisance du pouvoir. Mais se revendiquer de ce que l’on veut confisquer ou détruire était déjà une vieille technique entriste et propagandiste ; un classique de la politique la plus sale. La technique était très largement appliquée, en particulier depuis 68, pour créer de la confusion dans le mouvement social ; et elle l’était par ceux-là mêmes que nous avions devant nous. Avec l’action contre l’alerte et les alternatives écologistes, ceux qui se prétendaient révolutionnaires s’affichaient en parfaits réactionnaires.
Pour agir ainsi, il fallait qu’ils se sachent soutenus, puissamment soutenus et protégés ; si bien que leur perception des autres en était altérée. Tout démontrait que le coup n’était pas improvisé. Il devait venir de très loin. Et, en effet, ils avaient des protecteurs. Et quels protecteurs ! Cela n’est que longtemps après qu’ils eurent efficacement contribué à nous pousser dehors et à nous condamner au silence que nous pourrons identifier les marionnettistes qui les nourrissaient et les dirigeaient.
Avec un bel ensemble, ils nous retournèrent les interrogations, tentant de nous déstabiliser. Non, ils ne repartiraient pas. Ils nous avaient envahis, mais ils étaient à la bonne place. Qui étions-nous pour oser leur parler ainsi, nous qui ne savions rien et étions dans l’erreur et l’ignorance ? Il était temps que nous découvrions la juste cause et sa « stratégie révolutionnaire« , temps qu’ils nous montrent la voie, bla, bla, bla. Ils n’écoutaient rien et débitaient des énormités avec l’aplomb d’une longue pratique. En bons marchands de cravates, ils nous abreuvèrent d’un déluge idéologique sans aucun rapport avec leurs agissements, et moins encore avec la raison de leur présence – un modèle de langue de bois sans queue ni tête. Ils voulaient nous rééduquer, mais il n’y avait rien de logique en eux. Rien que l’on puisse saisir, sinon leur dérangement. Par leurs actes et leurs paroles, ils ne faisaient que dissocier et déconstruire. Excellent pour le système ! Ils étaient inaccessibles, définitivement juchés sur un piédestal de certitudes sans fondement. Comme d’autres déjà croisés. Comme toujours dans cet emploi.
Tous avançaient en arborant beaucoup de bannières joliment colorées, mais cela n’était que faux drapeaux. Et, comme cela ne suffisait pas, ils y ajoutaient pseudonymes, maquillages et fausses nouvelles. Pour eux, la dissimulation, le travestissement et le mensonge étaient une règle de vie.
Manifestation des mouvements de la nouvelle gauche, l’éveil de la conscience du bien commun qui courait également les usines, les bureaux, les campagnes en 68… était un élan vital, un sursaut de défense du vivant ; tandis que les gauchismes ne cessaient de démontrer leur aversion pour celui-ci. S’inquiéter pour le vivant menacé partout leur paraissait même ridicule, voire hautement suspect. Fallait-il que nous soyons politiquement faibles, voire faibles d’esprit, voire réacs, pour nous préoccuper des petites fleurs et des petits oiseaux ! Nombre d’entre eux allant même jusqu’à désigner « la nature » comme source du mal *. Quelle aubaine pour les stratèges de la conquête capitaliste ! Ceux-ci ne pouvaient rêver de meilleurs alliés objectifs. Et quelle coïncidence !
* Bien plus tard, après quelques dizaines d’années de réflexion et d’ascension dans l’université, l’un d’eux me dira : « la nature est fasciste« . Quant aux autres esprits forts qui se serraient sous la bannière de la croissance, ceux qui ne sont pas déjà morts ou pas encore à la Blédine se sont peinturlurés en vert et réécrivent l’histoire.
Se rengorgeant comiquement, cherchant la voix la plus forte et basse, celle de l’aboiement du chef et de la cheftaine, ils rejetaient tout ce que nous disions. Peut-être étaient-ils éméchés, mais cela n’explique pas tout et n’excuse rien. Comme j’essayais de leur représenter l’absurdité de la situation et le ridicule de leur présence : ils s’esclaffèrent, entraînant la réaction en chaîne de la claque. Des mal dégrossis. Ils avaient du « Camarades ! » plein la bouche, mais cela sonnait comme une insulte. Pour ces braves, nous n’étions que des bourgeois dégénérés. La preuve : nos sujets de préoccupation, notre sensiblerie, notre immaturité ! Tandis qu’eux étaient des grands dont nous avions tout à apprendre… Entre autres, qu’ils étaient – eux – des bons bourgeois, parfois descendants de colonisateurs-pilleurs-esclavagistes-massacreurs, ou de futurs embourgeoisés étroitement mêlés au monde qu’ils prétendaient vomir ; et bientôt tant satisfaits d’être « arrivés » qu’ils ne pourront plus se retenir et continuer à dissimuler ! Les autres étaient à l’unisson. Un torrent de tchatche qui trahissait une longue pratique. Ils et elles avaient du métier ! Et, sans nul doute, plusieurs verres dans le nez, voire quelques joints comaques. N’avaient-ils pas fait un brainstorming de comptoir, ou banqueté ensemble, pour mieux se coordonner* ? C’était peut-être une autre explication à l’heure tardive du rendez-vous. Mais peu importe les modalités, ils n’étaient pas là par hasard. Ils étaient en service commandé.
* bien sûr, à une terrasse de Saint Germain des Prés, tout près. À la Rhumerie, peut-être, où j’apprendrai plus tard que beaucoup débattaient de la ligne révolutionnaire en sirotant.
La diversité, qu’elle soit biologique ou culturelle, ces gens-là s’en foutaient complètement – comme de l’autogestion et de la démocratie. La conscience de la complémentarité et de l’interdépendance ? Ils ne connaissaient pas. Ils ignoraient tout de la gravité de la crise écologique et sociale planétaire *, n’avaient aucune compréhension de l’alternative écologiste, de la contre-culture, et ils n’avaient aucune envie de découvrir. Il était évident que nous n’étions pas de la même sensibilité, que nous n’appartenions pas à la même société. Nous n’avions rien à partager. Leurs réponses à la salve des questions furent très claires : ils ne voulaient pas que nous existions ! Pour eux, nous étions moins que rien. Mais ils s’étaient quand même dérangés pour nous priver du pouvoir de décider de ce que nous étions… Au fond, en mettant les choses au mieux, ils étaient venus pour nous sauver de nous-mêmes. Et astiquer encore leur ego turgescent.
* son évocation ne provoqua que des rires bêtes. Le rire des aliénés croyant se valoriser en copiant le mépris du système dominant pour le vivant.
Pour les écologistes (de l’époque) qui misaient sur l’ouverture, sur l’échange, qui proposaient de cultiver précautionneusement toutes les interrelations, les synergies, de restaurer et d’élargir la démocratie à tous ceux qui ne peuvent s’exprimer dans un langage humain, à tous les vivants, à la nature entière, le choc était énorme. Nous étions pris à contre-pied. Forts de leur inculture et de leur fermeture d’esprit, nos visiteurs du soir nous démontraient l’impossibilité de communiquer, seulement communiquer, avec les conditionnés par la culture contre le vivant (« anti-nature« ). Tous étaient odieux. Leurs tronches et leurs vociférations étaient assez éloquentes. Seule une haine méprisante, une haine « de classe » et l’envie de nous dépouiller, de nous réduire à rien, de nous « rectifier » peut-être*, avaient conduit leurs pas. Tant d’immaturité ruinait nos espoirs d’évolution rapide pour sauver la biosphère. Il nous faudra longtemps pour digérer l’information !
* comme disaient alors les totalitaires énamourés de Mao qui aimaient à se rejouer les cent fleurs et la révolution culturelle.
Combien d’autres réunions ces énergumènes avaient-ils déjà saccagées ? Combien d’autres mouvements avaient-ils pourris ? Combien de bonnes volontés avaient-ils désespérées ? Sous la conduite de Françoise d’Eaubonne, les féministes ne semblaient pas moins déterminées à tout foutre en l’air. Les tentatives de rappel aux valeurs communes se heurtaient à un mur de ricanements. Aucune chance qu’elles reviennent à la raison. Mais, au fait, pourquoi Françoise nous avait-elle fait risette auparavant ? Comment pouvait-elle être si tordue ?
Nous l’apprendrons un peu tard, face à nous, il y avait un échantillonnage de ceux qui allaient bientôt pouvoir se vanter, se vautrer dans l’autosatisfaction replète des parvenus. Les vociférations contre les bourgeois étaient déjà bien loin : « Tout m’a profité » (Serge July dans le texte, en 1978). C’était une sélection de ceux qui allaient s’esbaudir devant la profondeur des tapis des salons du pouvoir mitterrandien, tout en se gobergeant, et toute la suite du cortège jusqu’à aujourd’hui. Fidèles à l’impression qu’ils allaient nous laisser – capables de toutes les prédations – ils ne décevront jamais, ne rateront jamais une occasion d’accroître le divorce entre eux et le peuple, entre eux et le vivant. « (…) Fidélité apparente, reniement et beurre étaient du même côté de la tartine. Quelle chance ! », Guy Hocquenghem, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary (à S. July, A. Glucksmann, R. Debray, J-F. Bizot, B. Lalonde, B. Kouchner, P. Chéreau, B.-H.L., J.-H. Hallier, R. Castro, J. Lang, Coluche et autres de ma génération).
Heureusement que Guy Hocquenghem a pu témoigner au-devant de la scène. Il a dit combien il avait été abusé par les faux-culs qui abondaient à l’époque du guet-apens du Pré-aux-Clercs. Comme d’autres vedettes de la fausse gauche, peut-être était-il là, juste en face de moi ! Dans la salle de danse, comme son amie Françoise d’Eaubonne, il était peut-être mêlé à nos vrais ennemis communs pour mieux tuer ce en quoi il espérait.
Guy Hocquenghem n’a rien dit du saccage de l’assemblée des écologistes. Pourquoi s’est-il privé d’une aussi belle illustration de la fausseté de ses ex-copains ? Car, même s’il n’est pas venu au Pré-aux-Clercs, il n’a pu ignorer l’exploit. Non seulement il animait le FHAR avec Françoise d’Eaubonne, mais il était, lui aussi, possédé par la transe maoïste germanopratine.
Combien de temps lui a-t-il fallu pour réaliser qu’il avait été instrumentalisé ? Alors pourquoi n’a-t-il rien dit ? Même trahies, les vieilles complicités l’ont-elles retenu ? Avait-il honte des actions auxquelles il avait été entraîné ? Il est certain que Guy Hocquenghem n’avait pas encore tout digéré. Il a manqué de temps pour approfondir l’analyse de ces événements renversants, en découvrir les choses cachées, et prendre conscience de leur importance.
Quel insigne honneur ! Quelle chance nous avions ! Les énergumènes de « la gauche radicale » nous offraient une nouvelle démonstration de leur naturel totalitaire, rien que pour nous.
Peut-être même étaient-ils tous là, car les ex-amis de Hocquenghem formaient une coterie dont les liens indéfectibles me seront involontairement révélés une quarantaine d’années plus tard par un « camarade » de l’époque. Sa maladresse me dévoilera d’un coup l’étendue de ce qui reste dissimulé (en 2015, 16, 17, etc. !) et me confirmera la permanence des complicités mobilisées pour l’effacement des mouvements critiques de l’impérialisme aient été servis avec zèle par les maoïstes de salon.
30 ans plus tard, En octobre 2001, Edward Goldsmith me dit « Every movement needs a heroes »… Chaque mouvement manipulé ! Les écolos fabriqués sont, en effet, nécessaires pour l’édification des nouvelles générations – encore aujourd’hui. Le personnage de Françoise d’Eaubonne aussi. Depuis le nouvel essor du féminisme dans les années 2000/2010, lavée de ses alliances paradoxales et de ses actions coupables, l’image pieuse de la féministe écolo est à nouveau brandie.
Pour faire pièce à cette nouvelle bouffée de propagande, j’ai tenté d’éclairer plusieurs combattantes féministes sur la spectaculaire contribution de Françoise d’Eaubonne à la démolition de la nouvelle gauche, au refoulement de la culture écologiste (holiste, communautaire, démocratique), donc à
l’affaiblissement du mouvement social : à l’extinction des alertes et des alternatives au capitalisme. Après la surprise, plusieurs semblaient intéressées. Ainsi Émilie Hache et Isabelle Stengers rencontrées le 29 octobre 2015 à la Maison des Métallos, à Paris *. Comme ces deux-là, la plupart ont vite rompu le contact, et n’ont pas répondu aux rappels (avec Stengers, on verra que cela n’a rien d’étonnant). Je n’ai pu trouver que deux interlocutrices ouvertes à l’information – mais bonnes connaisseuses du sujet, celles-ci. Nelly Trumel (12 août 1938, 3 décembre 2018), peintre de talent, anarchiste et créatrice de l’émission Femmes Libres sur Radio Libertaire **, n’était pas étonnée par la volte-face d’Eaubonne et son soutien, mode bulldozer du grand remembrement, à la réaction anti-nouvelle gauche. Elle s’est exclamée : « Françoise d’Eaubonne n’était pas à ça près ! Elle se disait libertaire, ce n’est pas pour autant qu’elle l’était !!! » (en mai 2009). Tout en m’affirmant n’avoir pas été proche d’Eaubonne et n’avoir pas su l’agression contre les écologistes, une autre ancienne du mouvement féministe, Marie-Jo Bonnet était sensiblement du même avis ***.
* lors d’une soirée consacrée à l’écoféminisme
** Femmes Libres, 1986-1999 : une émission féministe de Radio Libertaire http://dune.univ-angers.fr/documents/dune5580
http://odysseo.generiques.org/ark:/naan/a011483699806op3sxn
https://fr.wikipedia.org/wiki/Nelly_Trumel
*** (MLF, FHAR, Gouines Rouges, à l’époque des faits) https://mariejobon.net/ (deux rencontres en novembre 2013)
Les féministes de Françoise d’Eaubonne et le FHAR ont été utilisés comme de vulgaires troufions – casseurs de la critique et des alternatives, « opérateurs de la mise à plat des forces vives« , comme Guy Hocquenghem l’a observé de l’intérieur, naufrageurs du mouvement de l’intelligence collective pour laisser toute la place aux produits les plus destructeurs et profitables aux spéculateurs. « Utilisés« … Vu l’ampleur et la sophistication de la manipulation, c’est probable. Mais cela n’explique pas tout ; par exemple, la violence qu’ils ont imposée aux écologistes, même à ceux qu’ils connaissaient (justement à ceux-là ?).
Les contradictions et les incompatibilités des féministes et des activistes gays avec leurs nouveaux alliés étaient assez évidentes pour qu’ils aient conscience de l’étrangeté de leur comportement. Ainsi, on peut admirer l’union de libertins débridés et de réprimeurs des amours militantes (révélation d’Olivier Rolin dans Tigre en papier, Le Seuil 2002), d’anti-machistes et de machos revendiqués, d’homosexuels en lutte et de ratonneurs de « pédés » (Rolin page 178). À cet égard, le ralliement de Françoise d’Eaubonne et des femmes « antimecs » du FHAR à ces rustres anti-écologistes primaires était particulièrement déstabilisant. On ne pouvait imaginer alliance plus improbable, et meilleure introduction à la régression du mouvement. Quel joli cadeau empoisonné à toutes les femmes ! La permanence du machisme gauchiste dans les institutions du socialisme de la croissance marchande en sera le prix, sans oublier l’enterrement des alertes et des alternatives sous les nouveaux arrivismes réactionnaires. Car… car, durant la décennie suivante, les spadassins de 1971 allaient faire partie des fameux « gagneurs« . Autant dire que cette inoubliable sauterie était révélatrice d’un système de relations d’intérêt primant sur tout autre chose. Ainsi pour l’extraordinaire dérapage de prétendus défenseurs de l’émancipation vers l’exploitation sexuelle des enfants. Malheureusement, au temps de son maoïsme, Hocquenghem en était. Françoise d’Eaubonne et Pierre Samuel aussi, au moins comme signataires de la pétition parue dans Le Monde, le 26 janvier 1977. Pareil avec la posture anti-capitaliste de la même Françoise d’Eaubonne accoquinée avec des agents du capitalisme conquérant, et partisans de la croissance démographique (!), au moins depuis ce triste mois de juin 1972. Bizarre leur « révolution sexuelle » !
Avec Eaubonne, comme avec Ellul, comme avec Bosquet-Gorz, toujours éclairer le discours à la lumière des actes pour débusquer mensonges et incohérences ! Mais ne serait-ce pas là l’une des manifestations les plus spectaculaires de la manipulation des courants homosexuel et féministe, lesquels – on l’a vu – n’ont échappé ni à l’entrisme ni au détournement vers la prédation capitaliste ?
Pour entretenir la confusion propice à la poursuite de l’exploitation, la propagande utilise tout. 50 ans après son spectaculaire retournement (mais en était-ce un ?), plus de dix ans après sa disparition en 2005, la figure de Françoise d’Eaubonne est encore mise en avant comme un exemple de ce qu’elle a furieusement foulé aux pieds et souillé longuement. C’est ainsi qu’un livre d’éloges a pu encore paraître en 2019 :
Françoise d’Eaubonne : l’écoféminisme, par Caroline Goldblum, Le Passager clandestin, coll. Précurseurs de la décroissance.
Bien sûr, il a aussitôt été encensé par tous les révisionnistes de l’histoire sociale. Plus c’est gros… Depuis, des articles, des émissions et, au moins, quatre livres ont entonné la même chanson. Tant de publications, soudain ! Un festival de fantaisies essentiellement fondé sur les écrits mensongers dont Eaubonne n’a pas été avare – comme pour faire oublier le soutien à ses amis, capitalistes bon teint, pour saquer l’alternative écologiste.
Exemple : « C’est aussi au FHAR qu’elle a l’un de ses déclics écologiques » *. Et encore : « Tout au long des années 70, elle s’attache à articuler écologie et féminisme en théorie, en littérature et en pratique(s). Face à un capitalisme – dernier stade du patriarcat – responsable selon elle de la négation et de la mort du vivant (illimitisme, surpollution, impérialisme, génocides, surpopulation, destruction de la biodiversité…), elle en appelle à une mue – féministe – de l’humanité (…) » **. Quelle imagination ! Dommage que ces chercheuses n’aient pas eu l’idée de chercher du côté des écologistes contemporains de Françoise d’Eaubonne, pour savoir ce qu’ils savaient de ses efforts théoriques et pratiques. Les écologistes qui ont un peu d’expérience gardent un souvenir vif et cuisant des « déclics écologiques » et de la « mue » de Françoise d’Eaubonne ! Ainsi est déformée la mémoire collective et écrite l’histoire officielle : en oubliant opportunément le comportement de la dame, ses actions, ses complicités étranges et ses turpitudes.
* Le FHAR a été fondé en mars 1971, quelques semaines avant la Semaine de la Terre.
** Ces commentaires élogieux accompagnaient une émission de France-Culture en novembre 2020. Délice de la mémoire sous influence, Marie-Jo Bonnet y disait le contraire de ce que, les yeux dans les yeux, elle m’affirmait sept ans auparavant, quand elle avouait le peu d’estime qu’elle avait pour Eaubonne.
On peut se demander si les saboteurs sociaux qui s’en sont pris aux écologistes, et sans doute à beaucoup d’autres, étaient tous bien conscients de ce qu’ils faisaient – de ce qu’on leur faisait faire ? Françoise d’Eaubonne, par exemple. Complètement à contre-emploi. Quand on considère le parcours de celle-ci et ce qu’elle a prétendu être ensuite (écoféministe !), on est sidéré qu’elle ait pu nous traiter ainsi puisque, pour faire le spectacle, elle empruntait l’essentiel à la nouvelle gauche, voire aux Situationnistes. À cette époque, nous voulions croire que le recul du patriarcat permettrait l’épanouissement de l’intelligence sensible, et que celle-ci stimulerait la prise de conscience des crimes commis par les prédateurs, essentiellement des mâles d’autant plus valorisés qu’ils étaient nuisibles. Le surgissement de Françoise d’Eaubonne et ses amies au beau milieu de prédateurs caricaturaux a effacé cette espérance. Mais, l’ignorant, tous ceux qui n’avaient pas assisté à la trahison, ont été attirés par leurs récits enluminés.
Nous nous sommes longtemps demandé comment des féministes et des militants homosexuels du FHAR avaient pu s’acoquiner avec ces faux gauchistes. Nous ne savions pas que des « maos » connectés à Lalonde avaient facilité leur expression (dans le journal « Tout » du groupe « Vive la Révolution« ) *. Ainsi s’étaient peut-être tissées des relations anti-nature et anti-culture alternative – si elles ne préexistaient pas. Mais dans quel but ? Pourquoi des maoïstes claquemurés à double tour avaient-ils si obligeamment invité des acteurs de la nouvelle gauche (enfin, ceux-là) ? Et pourquoi ces derniers ne s’étaient-il pas méfiés ?
* Peut-être Hocquenghem lui-même qui aurait pu confesser beaucoup plus qu’il n’a fait.
Dix ans après s’être mise en vedette comme pourfendeuse de la nouvelle gauche écologiste, Eaubonne osera :
« l’originalité du FHAR, comme du MLF, c’est que, pour la première fois, on sortait du vedettariat, du nominalisme, des structures centralisées. Pour la première fois, on voyait des mouvements spontanés qui menaient des actions, qui marquaient des points. C’était nouveau, la réalisation du vieil idéal anar qui ne s’était jamais concrétisé (…) Oui, nous sommes une nébuleuse de sentiments et d’action« , Rencontre : Françoise d’Eaubonne par Alain Sanzio. Masques 1981.
Eaubonne était-elle mythomane ? Sans doute voulait-elle oublier sa participation à l’effacement de l’un de ces « mouvements spontanés« . Ou voulait-elle dissimuler sous les fanfaronnades son rôle dans l’un des sabotages politiques majeurs de l’époque !
Hocquenghem a compris, et, avec sa Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, s’est, en quelque sorte excusé en expliquant combien il avait été berné par ses anciens « camarades« . Même en étant mêlé à l’imposture, en pouvant l’observer de l’intérieur, il lui a tout de même fallu une dizaine d’années pour commencer à la reconnaître. Mystérieusement épargnée par Hocquenghem, Françoise d’Eaubonne ne semble pas avoir été inspirée par l’exemple de son camarade du FHAR. On cherche en vain un témoignage, une explication sur son empressement à soutenir ceux que Hocquenghem allait se sentir obligé de dénoncer. Ses mémoires sont muettes. Elle est restée murée dans le simulacre et l’auto-satisfaction.
Eaubonne a-t-elle seulement réalisé son erreur – si erreur il y eut ? Avait-elle été tourneboulée par les agents d’influence qui grouillaient autour de nous, autour de Pierre Fournier, de Claude Lévi-Strauss, de Henri Laborit, de Robert Lafont, de Guy Hocquenghem lui-même, de Henri Pézerat, etc. Eaubonne ne s’expliquera jamais, et nous ne la reverrons plus. En ayant à l’esprit les exploits du propagandiste Edward L. Bernays utilisant la lutte de libération des suffragettes pour vendre des cigarettes à la moitié de l’humanité qui ne fumait pas, on imagine que le fourvoiement est possible. Mais on ne peut oublier que Françoise d’Eaubonne s’est particulièrement distinguée : elle est la seule à nous avoir approchés pour nous cracher à la figure – publiquement.
Et les femmes fumèrent…
https://www.monde-diplomatique.fr/mav/163/A/59478
Dissimulation ou manipulation, comme avec les suffragettes, la malhonnêteté pollue tout à long terme. En 2015, le journal Silence a consacré un numéro (439) au féminisme et, même, à l’écoféminisme. Et, l’un des auteurs, Margot Lauwers, titre : Françoise d’Eaubonne, bonne source de l’écoféminisme, accordant foi à la parole de celle-ci, sans relativiser à son hostilité à la nouvelle gauche écologiste. Margot Lauwers aurait mieux fait de s’intéresser au « flambeau de la liberté » qui a détourné Françoise d’Eaubonne. Qui lui a tendu ce leurre ? Peut-être Margot ignorait-elle les incohérences de Françoise d’Eaubonne ? Cela serait curieux car, j’avais collaboré quinze ans durant à Silence et n’y avais pas fait mystère de la véritable histoire du mouvement et, entre autres, du rôle particulièrement nocif de Françoise d’Eaubonne. Toute l’équipe du journal avait profité de l’information. Comme l’a décrit Paul Farmer, la manipulation de l’histoire « a dans son camp l’oubli« . Un oubli que certains se plaisent à cultiver.
Peut-être Françoise d’Eaubonne et plusieurs autres, dont Guy Hocquenghem*, étaient-ils, encore plus que nous, les dindons de la farce… Nous ne comprenions rien, mais, au moins, prémunis par l’allergie aux prises de pouvoir et aux hiérarchies sans compétence, nous ne risquions pas d’être entraînés sur la rive opposée ! En effet, vu le déploiement de la réaction en coulisses, et la parfaite perfidie de ses méthodes, rien n’interdit de penser que le guet-apens du Pré-aux-Clercs visait aussi une partie de nos agresseurs. Manipulation dans la manipulation dans la manipulation **… La stratégie de la dissociation est une constante des opérations politiciennes. Elle était l’une des armes favorites de la guerre froide culturelle pour imposer le néocapitalisme sur l’effacement des alertes et la ruine des résistances. Rien ne peut réparer les déchirures créées. Elles se prolongent indéfiniment, toujours aggravées par les confusions induites et la falsification de l’histoire, pour effacer le crime. Les désormais fameuses dissensions entre « écolos » en sont un résultat.
* Qu’il ait été présent ou qu’il ait appris en écoutant les vanteries des agresseurs, Guy Hocquenghem n’aurait-il pas commencé à comprendre en analysant cette pantalonnade ?
** D’après la formule du poète de la contre-culture Gary Snyder : Révolution dans la révolution dans la révolution… Formule qui fut récupérée et entièrement retournée.
La conscience de la complémentarité des combats faisait partie de l’identité de la nouvelle gauche. Ce que l’on nomme depuis « la convergence des luttes » allait de soi. Nous voulions aider à faire circuler l’information, les idées et l’énergie de l’enthousiasme ; comme Henri Laborit allait bientôt le théoriser dans La Nouvelle Grille (comme nouvelle gauche). Or, c’est précisément ceux qui ne voulaient pas voir cultiver cette intelligence du mouvement social qui nous avaient piégés en se déguisant en frères de convictions. Les éteigneurs grouillaient autour de nous, et pas seulement aux AT et à la Gueule Ouverte ! Comme le révèle le témoignage d’Aline et Raymond Bayard de Maisons Paysannes de France, les mêmes manigances visaient tous les autres de la nouvelle gauche.
Quel long travail d’approche, de séduction et de désinformation pour les amener à nous agresser aussi brutalement (voir l’exemple du toubib maoïste Rony Brauman qui soignait les déviances politiques supposées « à coups de manche de pioche« ) ! Et, pour la suite, quels moyens de pression développés dans cette complicité ! Cela correspond bien à « l’effort immense exercé en permanence pour capter les esprits » avoué par Edward Louis Bernays. Le « collège invisible de l’écologisme » (ou un autre) était aussi fait pour les autres courants de la nouvelle gauche.
* Rony Brauman : Je faisais partie de la piétaille du maoïsme français
(https://asialyst.com/fr/2016/05/16/rony-brauman-je-faisais-partie-de-pietaille-maoisme-francais/)
ACG 2020
(1) Pierre Fournier les avait habillés pour la postérité : « Mai 68, c’était Marcuse. Ces connards ont cru que c’était Lénine » (ou, pire, Mao !), Concierges de tous les pays, unissez-vous, Charlie Hebdo n° 28 du 31 mai 1971. Quoique Marcuse n’avait guère été effleuré par la culture du vivant et du bien commun… Pour bien comprendre la nouvelle gauche écologiste et distinguer celle-ci des gauchismes qui la combattaient, il était beaucoup trop resté sous l’influence marxiste, voire impressionné par la Chine maoïste où il croyait voir une « révolution » * ! Mais Fournier devait avoir observé bien mieux que moi la méprise d’un bon nombre tombés dans le gauchisme (et l’aliénation) pour avoir cru y retrouver la critique des orientations dominantes, la contre-culture et les alternatives. Comme un petit problème d’aiguillage ! Et, probablement déjà, le résultat de belles et bonnes désinformations, façon relations publiques.
* encore plus de dix ans après la catastrophe du « Grand Bond en avant » !
(2) Mais il semble que Françoise d’Eaubonne ait eu des sympathies pour le maoïsme, ce dernier avatar de la grande famille totalitaire qui, justement, allait bientôt appuyer frénétiquement le noyautage et l’élimination de la nouvelle gauche – surtout des écologistes. Et pas elle seule. Des connaisseurs désignent maintenant des MLF et l’ensemble du FHAR comme maoïsants. Décidément, nous étions bien entourés ! Ceci expliquerait-il cela, au moins en partie ?