La légende André Gorz


La légende André Gorz

sommaire :

Falsification de l’histoire du mouvement social sur France Inter (émission « Là-bas si j’y suis » en 2011)

après l’article :

– une réaction à une autre émission de France Inter :

Réaction à une émission élogieuse sur André Gorz (« La marche de l’histoire » sur France Inter le 2 mai 2013)

– un commentaire à propos de la sortie d’un nouveau livre de louanges en novembre 2016 :

Légende André Gorz : vous reprendrez bien une dose de bourrage de crâne ?

Préambule

Dès 1967 et 1968, Norman Podhoretz et Irving Kristol, deux pointures du Congrès pour la Liberté de la Culture *, bientôt cofondateurs du néo-conservatisme **, appellent à porter le fer contre the new left américaine et les autres développements internationaux du mouvement alternatif à la prédation capitaliste.

* L’agence de la propagande du capitalisme états-unien qui, depuis Paris, a projeté ses actions sur plus de 70 nations entre les premières années cinquante et les années 1970.

Intelligence de l’anticommunisme. Le Congrès pour la liberté de la culture à Paris 1950-1975, Pierre Grémion, Fayard 1995.

** les désormais célèbres neocons dont on ne compte plus les méfaits planétaires

En 1969, Raymond Aron, autre poids lourd du Congrès, leur emboîte le pas en souhaitant très fort que la nouvelle gauche* soit vidée de sa substance révolutionnaire pour n’en garder qu’un résidu réformiste d’après épuration de la critique et des alternatives. Une amputation comparable à celle qui a produit le néo-libéralisme à partir de… l’aspiration à l’émancipation (l’extinction des « Lumières« , comme l’ont montré Max Horkheimer et Théodor Adorno avec La dialectique de la raison).

* 1960 1970 – Mouvement écologiste ? Nouvelle gauche ? Contre-culture ? Culture écologiste ?

1960 1970 – Mouvement écologiste ? Nouvelle gauche ? Contre-culture ? Culture écologiste ?

S’il en était besoin, la focalisation des meneurs de l’offensive néo et ultra-capitaliste contre la nouvelle gauche inspirée par la prise de conscience écologiste révèle la valeur de celle-ci.

En France, l’essentiel du retournement sera achevé dès l’été 1974. À la faveur de « la campagne Dumont« , le mouvement écologiste – partie du mouvement alternatif, alias la nouvelle gauche – est vidé de ses acteurs par des entristes de la Troisième Voie pro-capitaliste (la « Deuxième Gauche » de Mendès France, Rocard, Delors, Touraine, Julliard, Viannay, Maire, Rosanvallon, Nora, etc.). Le mouvement sera bientôt remplacé par une nébuleuse de réformismes convenant au système dominant.

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C’est par rapport à cette histoire qu’il fallait apprécier les émissions « Là-bas si j’y suis » (France Inter) du 21 et du 22 décembre 2011…

Falsification de l’histoire du mouvement social sur France Inter

Deux émissions spéciales présentant André Gorz comme un anticapitaliste radical et un penseur de l’écologisme, « une figure de cette radicalité contestataire où les luttes du présent viennent chercher grain à moudre et boussole« , etc. Et de dire des petits bouts de la vie d’André Gorz-Michel Bosquet qui semblent coller à peu près à cette image. Et de diffuser des interviews complaisantes, made in France Culture, où nul ne lui demande d’explication sur d’autres actions qui l’ont beaucoup occupé, mais qui cadrent mal avec la contestation du système. Et, sur le site de France Inter, cette belle photo professionnelle de Gorz en compagnie de sa femme, jeunes, souriant à l’avenir, devant l’usine Renault de l’Île Seguin. Pas un faux pas. Pas un doute sur l’exemplarité du héros. Toute une vie droite comme le bras tendu d’un combattant bolchevique. Un modèle pour les Indignés d’aujourd’hui. Une légende, une pure image d’Épinal, pour anéantir toute analyse critique.

« Every movement needs a heroes » m’écrivait Edward Goldsmith en octobre 2001. Il me donnait là une indication révélatrice de la stratégie d’étouffement de la pensée critique ; une stratégie de la colonisation de l’esprit des hommes, l’objectif premier de la conquête capitaliste, un domaine que Goldsmith avait approché de très près. Au nom de ce principe précisément contraire à la dynamique holiste de tout mouvement social, il m’invitait à ne pas dire la vérité d’un autre personnage trouble, et surtout pas ce que je sais de l’histoire du mouvement français. Je n’ai pas suivi ce conseil intéressé : Goldsmith est l’un des oligarques qui ont présidé à la création de ces falsifications, pour cacher le sabotage de la nouvelle gauche écologiste, et interdire qu’elle ne resurgisse.

Alors, puisqu’il le faut encore, rappelons quelques petites choses qui cadrent mal avec les récits idylliques…

Gorz-Bosquet n’était pas un journaliste ordinaire. Il partageait la direction du Nouvel Observateur avec Jean Daniel. Un Nouvel Observateur qui était issu de la cassure de la gauche, autour de 1960, entre la tradition révolutionnaire et une « Troisième Voie » très accommodante avec le capitalisme – le Nouvel Obs étant l’un des principaux vecteurs de celle-ci, avec le PSU de Rocard d’après le retournement de 1964… En attendant la Fondation Saint-Simon* : « la fondation est née avec le présupposé que le déblocage de la société française passait par un capitalisme réel, assumé, mais régulé et moralisé par des gens de gauche« , Jean Daniel, le Nouvel Observateur juillet 1999. Enfin, toute cette histoire sur laquelle « Là-bas si j’y suis » porte d’ordinaire un regard plus critique.

* Les architectes du social-libéralisme : https://www.monde-diplomatique.fr/1998/09/LAURENT/4054

Au moins dès le tout début des années 1960, époque de l’alerte écologiste et de la dénonciation de la société de consommation, Gorz-Bosquet s’est engagé dans le soutien au développement de… « la grande distribution« . Et il n’a pas ménagé ses forces pour appuyer le projet d‘Edouard Leclerc – l’homme dont la Résistance bretonne garde encore un souvenir très vif – puis en prenant le fils de celui-ci sous sa protection pour l’introduire partout à la place des alternatifs (jusque dans la rédaction de Que Choisir?).

Pour défendre cette noble cause, Michel Bosquet (donc, le futur André Gorz) a été jusqu’à battre le rappel des notables, « signant avec d’autres grands journalistes (François Henri de Virieu, Alain Murcier et Alain Vergnholes du Monde) des tracts pour dénoncer les refus de vente des fournisseurs » (Michel-Edouard Leclerc). En fait de « refus de vente« , il s’agissait de la liberté de choix des producteurs. Bosquet s’était donc fait le défenseur de la Circulaire Fontanet qui a renversé l’ordre économique (et écologique) en interdisant aux producteurs de choisir leurs distributeurs ! Ladite circulaire faisait partie du train des mesures de la déstructuration culturelle, économique, sociale et écologique néo-libérale, lancée dès le début de la 5ème République : « respect intégral des prescriptions réglementaires et notamment de la circulaire interministérielle du 31 mars 1960 sur les refus de vente, afin de ne pas paralyser l’intervention de nouveaux distributeurs pratiquant des méthodes commerciales susceptibles d’accroître la tension concurrentielle à l’intérieur du circuit de distribution« , recommandation du Comité Rueff-Armand sur les obstacles à l’expansion économique (21 juillet 1960). C’est l’acte qui a favorisé la financiarisation du commerce en libérant les spéculateurs de tout contrôle.

J’aime beaucoup : « accroître la tension concurrentielle à l’intérieur du circuit de distribution » pour dire que l’on va casser le commerce à l’échelle des familles, des villages, des quartiers… et bouleverser la vie de la majeure partie de la population, tout en pressurant les producteurs pour obtenir des « prix compétitifs« .

Typique de la double stratégie capitaliste de captation des biens communs pour créer et développer des dépendances de tous ordres : dépossession-déstructuration et concentration, cette seule action dément la légende construite autour de Michel Bosquet-André Gorz. Ce curieux « philosophe écologiste » a donc été un fervent partisan de la multiplication de grands comptoirs de traite hors de toute mesure, hors de tout contrôle. Comme au temps des colonisations les plus brutales, ces lieux gorgés de marchandises tentantes et toujours renouvelées étaient conçus pour piéger les nouveaux Indiens – les Français avant beaucoup d’autres. Les servants de cette machine de guerre sont vite devenus les ennemis des écologistes et de l’ensemble de la nouvelle gauche qui portaient la dénonciation de la société de consommation et voulaient que les coûts écologiques et sociaux soient pris en compte. Et, une fois encore, cela a marché ! Les propagandistes de la marchandise n’ont pas peu contribué à briser la prise de conscience de la diversité agricole et patrimoniale, et à arrêter le mouvement des alternatives qui se multipliaient (a). Bousculés par un assaut si puissant et si manipulateur *, la plupart des gens allaient oublier tout de la sagesse immémoriale et de la critique écologiste qui commençait à les effleurer.

* avec un consumérisme qui transforme le désir en instrument de contrôle des comportements des consommateurs

Edward Bernays : la manipulation de l’opinion publique en démocratie

Nourriture toute préparée stimulant des addictions, mal-bouffe et produits de basse utilité rendus attractifs par « les prix bas » obtenus en rognant tous les coûts (ou en les externalisant), téléviseurs pour regarder les pubs, bagnoles à gogos, gadgets pour meubler l’ennui, fausses facilités, « services » en tous genres pour soulager les portefeuilles, etc. Et sont venus les crédits à la consommation accompagnant le surendettement. Grisés par les tentations, oubliant la préservation de leurs savoirs et de leurs lieux de vie, reniant les biens communs (communaux), rompant les interrelations qui font la société, la plupart se sont mis à courir de plus en plus vite dans la grande cage d’écureuil du capitalisme, en s’enchaînant de plus en plus au crédit et au salariat sans condition, s’assujettissant définitivement au système du profit.

À l’époque de l’essor de la nouvelle gauche, Michel Bosquet-André Gorz avait donc volé au secours de cette systématisation de la cupidité commerciale qui allait, avec les complicités bancaires, prendre le pouvoir sur tous les secteurs de la production, dévaloriser le travail et dégrader spectaculairement la qualité et la diversité en tous domaines.

Typique de la dérégulation néo-libérale, l’action de Bosquet-Gorz et de ses collègues journalistes contribuera au succès du système Leclerc et au développement tentaculaire de « la grande distribution » (la concentration et la financiarisation du commerce). En militant pour l’inversion de la priorité entre les producteurs premiers, qui tout en devant prendre soin de leurs écosystèmes sont exposés à tous les aléas, et les distributeurs en position d’attente, le bonhomme était loin de se préoccuper de l’écologie du système qu’il bousculait. Cet assujettissement des producteurs – paysans, artisans, pêcheurs, petits industriels – à une distribution de plus en plus puissante avec l’appui de la finance, a, plus encore que précédemment, dévalorisé la communauté et fait perdre de vue le bien commun. Cela a libéré les spéculations et les détournements, et débridé la consommation des technologies dures (chimie et mécanisation sans mesure). C’est ce qui a autorisé le développement de la recherche des plus bas prix à la production, au détriment de tout le reste. Une source féconde de la ruine écologique et sociale.

Donner tout pouvoir aux distributeurs de pressurer les producteurs pour réduire les prix, et, ainsi, augmenter le « pouvoir d’achat » (b) des consommateurs en soulageant d’autant le budget salarial des entreprises et de l’État (le budget des retraites aussi) a énormément plu dans « la gauche » qui n’était plus à gauche. Aucun souci des campagnes vivantes, des savoirs et des cultures, des sociétés, des patrimoines, de la durabilité, etc. On en reste pantois, ne sachant si cette croyance en un « progrès » fondé sur la destruction était jouée, ou l’effet d’un simplisme confondant ! De la malbouffe et des mauvais produits pour soi-disant aider les victimes de ce même processus, les déclassés et les exclus (par exemple, les paysans jetés hors de chez eux) ! Cependant, indication précieuse s’il en est, cette brillante idée correspondait en tous points à l’une des principales recommandations du Plan de stabilisation Pinay-Rueff officialisé en décembre 1958 : « Le mécanisme des prix ne remplira son office qu’en infligeant aux agriculteurs presque en permanence un niveau de vie sensiblement inférieur à celui des autres catégories de travailleurs« . Un Plan typique de la politique planificatrice imposée par la nouvelle conquête capitaliste, avec aux postes de commande : Antoine Pinay (Bilderberg Group et Cercle Pinay en lien étroit avec le précédent, au top de l’ultra-capitalisme), Roger Goetze (ex-inspecteur des finances, sous-directeur du Crédit Foncier) et Georges Pompidou (alors directeur de la banque Rothschild, d’après Alain Peyrefitte).

Cette politique de libéralisation capitaliste avait l’heur de plaire à toute « la gauche » jacobine et productiviste hostile aux paysans, aux petits commerçants, aux artisans, hostile enfin à toute société non soumise à une hiérarchie dirigiste via le salariat ou une autre dépendance. Nous en connaissons les résultats : dégradation de la qualité des produits et du service au client (qui, auparavant, étaient des préoccupations premières), financiarisation du secteur, survie difficile et faillites des producteurs étranglés par les centrales d’achat, déracinement pour quantité de commerçants et d’artisans, suicides de paysans, désertification des campagnes et de nombreux quartiers commerçants, mort des villages et des centres-villes, spéculation sans frontière et délocalisation des productions, chômage de masse, développement de productions nuisibles à tous les stades (par exemple : l’huile de palme), accroissement des transports longue distance et des pollutions, etc. Il s’agit là de l’une des déstructurations les plus importantes que la nouvelle gauche voulait éviter. Pas étonnant que Gorz (encore Bosquet à l’époque) ait fait partie des naufrageurs de celle-ci.

Enfin, et cela n’est pas le moindre, Gorz-Bosquet, que j’ai pu observer dans ses oeuvres, est l’un de ceux qui ont savamment manipulé pour éliminer les écologistes de la nouvelle gauche française, afin de les remplacer par Brice Lalonde et sa bande dépêchés par les réseaux du capitalisme atlantiste.
« Chez lui [chez Gorz] ou dans les locaux de l’association « Les amis de la terre » (anciennement, rue de la Bûcherie, juste en dessous de Greenpeace), nous étions quelques dizaines à vouloir refaire le monde. Autour de Brice Lalonde qu’il aimait comme un fils, Yves Lenoir, Dominique Simonet (aujourd’hui reporter scientifique à l’Express) et occasionnellement du Commandant Cousteau, de Teddy Goldsmith, de Puiseux, directeur des études économiques d’EDF…et tant d’autres * » Michel-Edouard Leclerc, André Gorz, la mort d’un philosophe.

* Parmi lesquels la propagandiste maoïste Maria Antonietta Macciocchi et « la bande » (ils se désignaient ainsi) des gauchistes qui s’illustraient dans l’élimination des écologistes depuis plusieurs années.

Un Alain Badiou n’est possible qu’en France

https://www.marianne.net/agora/un-alain-badiou-nest-possible-quen-france

Fruit de l’épanouissement de l’empathie stimulé par l’ouverture écologiste au monde, le principal message politique de la nouvelle gauche – la nécessité de la régulation sociale et écologique, en commençant par la déconstruction de la culture et du système impérialistes – fut la première victime de la manipulation. Il fut perdu avec l’élimination des membres du premier mouvement alternatif et, plus de trois décennies après, je ne l’ai pas encore vu reparaître. Et pour cause, devenus censeurs, les exécuteurs d’hier ont scrupuleusement veillé à ce que les acteurs du mouvement (ceux qui n’ont pas renoncé), désormais des témoins gênants, ne puissent se relever, témoigner et s’unir aux nouveaux alternatifs. La voie de la dérégulation néo-libérale était libérée.

« Désamorcer les mouvements politiques de gauche et susciter l’acceptation d’un socialisme modéré (…) infiltrer les syndicats européens (…) extirper les éléments douteux (…) favoriser l’ascension des leaders convenant à Washington« , (Frances Stonor Saunders, Qui mène la danse ? La CIA et la guerre froide culturelle page 334, Denoël 2003. Telles étaient les méthodes définies pour la « campagne de propagande et de pénétration » lancée à la fin des années quarante contre l’Europe politique et syndicale.

Sans ce puissant outil de la déstructuration des personnes et de la société, et de casse de la maîtrise de la vie individuelle et collective, le capitalisme ultra-libéral aurait été beaucoup plus difficile à installer. Bravo André Gorz !

André Gorz – Michel Bosquet n’est donc pas exactement une « figure de cette radicalité contestataire où les luttes du présent viennent chercher grain à moudre et boussole » ! C’est même le contraire, puisqu’il a servi à faire disparaître toute l’alternative – le mouvement et la culture – pour la remplacer par les vaguelettes réformistes vertes, et qu’avec l’appui à « la grande distribution » il a aidé à installer la dérégulation néo-capitaliste. André Gorz–Michel Bosquet est l’un des responsables de la situation que l’émission « Là-bas si j’y suis » semble vouloir dénoncer chaque jour.

Reste à deviner à quoi servent ces contes imposés à l’admiration des foules – à part effacer et censurer plus encore les acteurs des mouvements dangereux pour l’exploitation, donc les mouvements sociaux et leur pensée critique… Une réponse se dessine quand on se demande ce que ces « héros« , dont on aurait un si grand besoin, ont réussi. Ils ont incontestablement réussi de confortables carrières. Ils ont réussi à acquérir la reconnaissance d’une certaine société installée. Leur postérité est assurée. Mais, en filigrane, même le non-initié voit surtout qu’ils n’ont réussi à prévenir et à parer aucune des dégradations contre lesquelles leur enseignement est invoqué. Ce sont des héros de l’échec. Il est vrai que seuls, sans connexion avec un mouvement social… La focalisation sur quelques individus supposés exceptionnels sert aussi à refouler la compréhension du sens des interrelations, et à détourner des dynamiques de l’intelligence collective et de la démocratie (le mouvement social). L’exemple de l’impuissance des « héros » sert à démotiver et à démobiliser les nouvelles générations : puisque de tels personnages n’ont rien pu faire, que pouvons-nous en partant de rien ?! Guy Hocquenghem avait bien vu : « Vous vous êtes assis sur le seuil de l’avenir, et (…) cet aliment de l’esprit qu’est l’utopie, vous empêchez du moins les autres d’y toucher. Aux pauvres jeunes gens d’aujourd’hui, vous ne laissez même pas l’espérance, ayant discrédité tout idéal, au point de rendre presque vomitive toute évocation de mai 68. (…) votre réseau contrôle toutes les voies d’accès et refoule les nouveaux, le style que vous imprimez au pouvoir intellectuel que vous exercez enterre tout possible et tout futur. Du haut de la pyramide, amoncellement d’escroqueries et d’impudences, vous déclarez froidement, en écartant ceux qui voudraient regarder par eux-mêmes qu’il n’y a rien à voir et que le morne désert s’étend à l’infini » (Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary 1985).

C’est à cause de manipulations comme celles auxquelles les héros factices ont participé, et de récits menteurs (storytelling) comme ces deux émissions, que nous en sommes arrivés là, à supporter, impuissants au milieu des ruines, la dictature de la finance dérégulée.

Quelle mouche a piqué Daniel Mermet et l’équipe de « Là-bas si j’y suis » ? Ignorent-ils tout ? Pourquoi ramènent-ils André Gorz en tête de gondole aujourd’hui ?

Et si Bosquet-Gorz avait compté positivement dans le mouvement alternatif, le mettre en avant serait-il utile ? Non plus. Le goût immodéré pour les vedettes n’est pas une simple mode. Il appartient à la stratégie du système dominant. Par l’élitisme, version sophistiquée du capitalisme de pouvoir, la domination contamine ses oppositions de façon à dissimuler et effacer le mouvement social où sont nées les volontés et les idées.

Alain-Claude Galtié décembre 2011

(a) Moi-même en ai fait une expérience inoubliable. Au printemps 1972, ayant invité les fédérations des coopératives agricoles et des coopératives de consommation (les COOP) à produire et distribuer des produits bio, j’ai été très grossièrement foutu à la porte, séance tenante, de l’Institut des Études Coopératives.

(b) « Pouvoir d’achat » est une idée insinuée pour fragiliser la conscience de la communauté – communauté sociale et communauté des biens. Cela fait partie de la stratégie déstructuratrice des sociétés, afin de réduire leurs membres à l’état de consommateurs individualistes sans soucis des conséquences de leurs actions quotidiennes, et faire place, ainsi, aux stratégies de la concentration du profit.

Post-scriptum :

Mon très court billet signalant que l’histoire de Bosquet-Gorz est beaucoup, beaucoup plus dissonante que la jolie berceuse susurrée par Daniel Mermet et son invité n’a pas passé le cap de la censure du site de l’émission. Seuls y ont été publiés les commentaires des naïfs anonymes – ou de la claque – qui applaudissent des pieds et des mains.

Quelle surprise !

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Nouvelle falsification sur France Inter en mai 2013 :

Réaction à une émission élogieuse sur André Gorz, France Inter

La marche de l’histoire du 2 mai 2013

Bonjour,

Lanceur de l’alerte écologiste depuis les années soixante avec la nouvelle gauche, lanceur du mouvement écologiste, j’ai connu André Gorz, alors Michel Bosquet, et j’ai eu tout loisir d’apprécier le sens de son action. Las, cela ne cadre pas du tout avec le panégyrique que je viens d’entendre. C’est même exactement le contraire. Pour la nouvelle gauche écologiste, Gorz a été un véritable objecteur d’alternative particulièrement efficace dans l’étouffement du mouvement et son détournement en une pauvre chose réformiste intégrée au capitalisme triomphant. D’autant plus efficace qu’il s’était coulé près de nous pour mieux pomper les idées tout en soutenant des personnes et des entreprises opposées au changement de civilisation que nous proposions – telles les Leclerc et le développement de « la grande distribution« , et Brice Lalonde. Des personnes et des entreprises très impliquées dans la conquête capitaliste néo-libérale lancée au lendemain de la seconde guerre mondiale. J’ai, par exemple, évoqué cette histoire tordue dans La légende André Gorz sur le site Planetaryecology. Comme pour toute histoire de manipulation, il reste des zones d’ombre, même pour les témoins directs. Aussi, je n’exclus pas que Gorz lui-même ait été berné. Mais il est peu plausible qu’il ait été inconscient des actions de sabotage dirigées contre les alternatifs, actions qu’il a cautionnées.

Expérience faite

Pas davantage de réaction. Pas même l’amorce d’une curiosité. De toute évidence, la parole des témoins compte moins que l’écriture de la légende. Qui a dit « storytelling » ?

Mais pourquoi l’écriture de la légende, si ce n’est pour poursuivre le travail de sape auquel Bosquet-Gorz, etc. a ardemment participé ?

C’est curieux, ce révisionnisme s’est aussi emparé de la personne de Denis de Rougemont pour en faire une figure de l’écologisme.

Encore un héros fabriqué pour asphyxier le mouvement social. Et quel héros… Denis de Rougemont !

Denis de Rougemont et l’alternative écologiste, suivi de : Le personnalisme détourné contre l’écologisme

http://www.planetaryecology.com/index.php?option=com_content&view=article&id=156:denis-de-rougemont-et-l-alternative-ecologiste&catid=9&Itemid=470

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Légende André Gorz : vous reprendrez bien une dose de bourrage de crâne ?

Libération s’est fendu d’une double page pour présenter un bouquin consacré à André Gorz (alias Michel Bosquet dans les années 1960/70). Même chose dans l’Obs, dans une rubrique comiquement nommée « débats ». Pareil sur France Culture (faut pas lésiner). Même l’Humanité a glissé dans le fétichisme Gorzien (1). Et, pour ne pas être en reste, Le Monde Diplomatique y est allé de sa contribution.

Difficile de croire que tous ces braves journalistes pourfendeurs des fausses nouvelles et défenseurs acharnés de la liberté d’expression sont à ce point abusés.

L’étoile de celui qui, maintenant, est présenté comme « père de l’écologie politique » (sic) devait, probablement, pâlir un peu. Aussi, ce livre vient relancer le récit propagandiste pour occuper le terrain médiatique, et refouler encore et encore les témoignages sur le véritable rôle de ce monsieur. Car, loin de l’image fabriquée, quand il était Michel Bosquet, Gorz a été un soutien indéfectible du développement de « la grande distribution » (comme Michel Rocard), ce qui, déjà, cadre mal avec l’écologiste que certains veulent en faire ! Mais il y a mieux. D’extinction d’un projet de campagne contre les emballages jetables (en 1971), en censeur des écologistes de la nouvelle gauche, et en promoteur de Brice Lalonde et de quelques autres imposteurs pleinement capitalistes (encore comme Rocard), il a été l’un des plus efficaces – et des plus dissimulés – éteigneurs du mouvement écologiste.

(1) André Gorz, Pensée autonome, Willy Gianinazzi, La Découverte