Hervé le Nestour

La mémoire perdue des écologistes

Hervé le Nestour, l’un des lanceurs de l’alerte écologiste

.

Pierre Fournier est loin d’être le seul acteur de la nouvelle gauche écologiste à avoir été relégué dans l’oubli et remplacé par des personnages aussi stipendiés que falots. Rien n’a été épargné pour gommer les acteurs du mouvement et leur philosophie politique si dérangeante pour l’ordre de la domination anti-sociale et anti-nature.

Après nous être croisés sans nous reconnaître en 68*, nous nous sommes enfin rencontrés pendant La Semaine de la Terre en 1971.

* « (…) On ne veut plus voir dans 68 que la chienlit folklo et irresponsable… On veut oublier – et on y arrive très bien – que là a commencé à se faire entendre le mot « écologie », que le propos initial du grand chambard fut la remise en cause de la société de consommation, la dénonciation du gaspillage des ressources, de l’injustice de leur répartition, du saccage de la planète, de sa flore, de sa faune…
(…) », Cavanna, Géranium et papier peint, Écologie Infos septembre 1988.

Je chante rauque rencontre de roc et de mer

brillante et broyante et bouillonnante éphémère

Flux et reflux, Marées superflues

La côte te dira s’il n’écume plus

Je chante vibrante entente de l’arbre et du vent

froissement de vie frissonne et sème en rêvant

Flux et reflux, Feuilles superflues

et l’hiver te dira s’il ne graine plus

Je chante émouvante attente des airs et des phrases

aux sens multipliés en ondes et en phases

Flux et reflux, Feuilles superflues

L’avenir te dira si je ne chante plus

Y. Hervé cassette REVERBERES années 1980

Hervé le Nestour, poète et interprète de ses chansons. C’était une grande voix et un esprit inépuisable. Il était aussi anthropologue. Il avait fait ses classes avec Claude Lévi-Strauss, autre remarquable lanceur d’alerte de l’écologisme généralement oublié en tant que tel. En compagnie de Robert Jaulin, une mission l’avait conduit à vivre en Amazonie colombienne parmi les Bari (ou Motilon). Comme Jean Detton (https://planetaryecology.com/jean-detton-lun-des-lanceurs-du-mouvement-ecologiste/), il était curieux de tout et semblait se démultiplier pour participer à quantité d’événements. Jean et Hervé ont énormément compté dans la dynamique de la nouvelle gauche* française. Mais ils semblent avoir été effacés des mémoires. Comme c’est curieux…

Comme Serge Grothendieck, comme Jean Detton aussi, Hervé le Nestour avait choisi l’engagement total. La voie la plus difficile. Il avait refusé la carrière et même le compromis d’un travail alimentaire. Entre chansons et action alternative, il vivait entièrement pour le changement de civilisation qui nous aurait sauvé des effondrements d’aujourd’hui. Comme il avait nourri les estomacs et les cervelles de la Sorbonne, de l’Odéon et des Beaux-Arts en 68, il offrait l’essentiel de son énergie au mouvement des idées et des enthousiasmes *. Mais cet effort est ingrat. A la différence des imposteurs passés de l’appel à faire couler le sang des bourgeois à… la bourgeoisie la plus comblée, Hervé le Nestour a beaucoup ramé et a pris beaucoup de coups. Surtout donnés par ceux qu’il avait nourris. Ayant renoncé au confort des institutions, n’ayant pas même sacrifié au travail alimentaire, sa vie est devenue de plus en plus difficile. Impécunieuse au point qu’il n’a jamais pu faire soigner sa vue déficiente.  

* avec Jean Detton, comme moi à chaque occasion, il avait tenté d’y stimuler la conscience écologiste.

Comme tous les lanceurs de l’alerte, comme tous les sincères, il a récolté le contraire de ce qu’il a semé.

Hervé a beaucoup écrit, des articles, des études, des chansons… Beaucoup. Et beaucoup distribué. Beaucoup donné. Comme tous les acteurs de ce mouvement exceptionnel, il a été peu publié. Surtout censuré. Il est maintenant censuré dans la mort.

Hervé le Nestour à Montargis en juillet 1974

Devenu presque aveugle, Hervé est lui aussi tombé. C’était dans un escalier du métro Vaugirard au début de l’année 2004. N’ayant pas de papiers d’identité sur lui et n’arborant pas les signes de la réussite sociale, il a été abandonné dans une chambre d’hôpital, sans les soins adaptés. Comme si souvent. Comme d’autres de ma connaissance. En France, le « système de soins » et « la couverture sociale« , cela n’est pas pour tout le monde.

Il est resté seul, perdu plus d’un mois au fond de ce ravin, sans qu’on le sache, avant qu’on ne le retrouve. Quand on n’a pas vécu pareil, on ne meurt pas conformément. On s’évade. Pourtant beaucoup l’ont cherché, sauf les officiels, les institués, les uniformes. Certains le cherchent encore. Ceux qui comprennent que les réponses aux questions que se pose l’époque existent déjà, qu’il en faisait partie.

Sa famille ne l’a retrouvé qu’en faisant elle-même les recherches. Trop tard. Personne ne s’était posé de questions sur ce grand corps qui, pourtant, témoignait d’une vitalité peu commune. Aucune intelligence sensible ne s’était penchée sur lui. Hervé est mort en février 2004 par absence d’empathie, lui qui avait passé le plus clair de son temps à prendre soin de la vie en cherchant le chemin vers une société inspirée par l’ouverture sur la vie.

AMAZONIE

Vous qui de la forêt ne connaissez que chêne, hêtre, saule ou sapin

Châtaigner, orme ou frêne, bouleau, cèdre ou pin

Jamais vous ne saurez l’océan de forêt de l’Amazonie

Pourtant déjà la hache, déjà la cognée

En tache comme une lèpre l’ont rognée

Plutôt que la terre du riche partager

On envoie le pauvre ronger la forêt

Et vous qui de rivières ne connaissez que Seine, Rhône, Garonne ou Rhin

Loire, Dordogne, Saône, fleuves par trop sereins

Chacun d’eux se perdrait

Ensemble se noieraient dans l’Amazonie

Pourtant le Putumayo, l’Ucayali

Xingu, Tapajoz, Madeira

Javari, Vaupes, Urubamba, Jurua

Bientôt seront aussi souillés que ceux-là

Et vous qui oubliez vos peuples que l’on force à perdre leur élan

Basques, Bretons ou Corses, Gitans ou Catalans

On ne vous pas dit les peuples anéantis de l’Amazonie

Guato, Bakairi, Kayainawa

Monde, Kurina, Oti, Poyanara

Wari, Moyuruna, Ofayé

Et comme eux tant d’autres dans l’oubli noyés

Vous qui de l’Amazonie ne savez qu’Amazone vous qui ne savez rien

Sachez qu’on y massacre arbres, fleuves, indiens

Le meurtre est quotidien, il ne restera rien de l’Amazonie.

Hervé LE NESTOUR 1967

à propos de ce qu’est devenu l’Amazonie…

La terre des hommes rouges (BirdWatchers), dans :

Les grands arbres noirs

Regarde le long des côtes ces grands arbres noirs

Plus leurs branches sont hautes et plus ils ont d’histoire

La mer qui les guette va et vient à leurs pieds

Tentant par ses tempêtes de saper le sentier

La la la la la la

Aucune herbe ne pousse au lit de leur mémoire

Ni de fleurs ni de mousse au rocher de Penmarch

L’écueil et le récif sont plus hospitaliers

Que le sous-bois des ifs et des grands pins voiliers

La la la la la la

La terre devient mousse où tombent leurs brindilles

Le fil des jours se rompt où jonchent leurs aiguilles

Tempêtes des Rameaux de Pâques ou de Toussaint

Faites battre au hameau la hache et le tocsin

La la la la la la

Les forêts riveraines sont toutes parties en mer

En des vagues lointaines, naufragées, éphémères

Et il ne reste au bord que les grands pins dressés

Dressant dessus le port leurs têtes menacées

La la la la la la

On en fera des barques des cotres des thoniers

Vogueront à leurs marques les plus grands des voiliers

Ils iront magnifiques cercueils et ambulants

Faire du Pacifique gueuler les goélands

La la la la la la

Ailleurs les gens sont noirs ailleurs la mer est grise

Entre l’aube et le soir les vents aux pins se grisent

Le paysan de loin repère leurs silhouettes

Et le marin au coin de l’horizon les guette

La la la la la la

Regarde le long des côtes ces grands arbres noirs

Plus leurs branches sont hautes et plus ils ont d’histoire…

Hervé le Nestour années 1980

L’orchestre

Le rideau du jour se prélude

par un concert de multitude

d’oiseaux tous encore invisibles

aux orchestrations indicibles

qui envahissent le silence

de modulations

de stridences

Parfois de ses lueurs l’aurore

apporte à ces couleurs sonores

de l’orchestre indéfinissable

des tentures inimitables

de teintes aussi transitoires

que ces harmonies migratoires

Au creux de leurs cités énormes

des gens indéfiniment dorment

privés de ces plaisirs précoces

quand le concert devient négoce

le droit de cité se dérobe

aux musiciens distraits de l’aube

Quand le jour installe ses frasques

là où il reste des arbres parc’que

il suffit que le bois existe

pour laisser les hautbois et fifres

aux ailes de tous ces artistes

Entre les feuilles ils déchiffrent

Si le soir laisse que se reposent

ces verts ces jaunes et ces roses

sur les accords des champs incultes

la quotidienneté exulte

chaque oiseau cherche en auditoire

l’étendue de son territoire

Doucement les teintes s’estompent

peu à peu les voix s’interrompent

ne laissant en seule insomnie

aux nuits chaudes que l’harmonie

de quelques solistes virtuoses

qui sur les silences se posent

Alors la nuit devient mystère

chaque son se fait solitaire

la nuit se met en embuscade

l’angoisse crie à l’estocade

de quelque coupable rapace

remplaçant par le son l’espace

Le rideau du jour se prélude

par un concert de multitude

d’oiseaux tous encore invisibles

aux orchestrations indicibles

qui envahissent le silence

de modulations

de stridences

aujourd’hui

Le grand orchestre de la nature est peu à peu réduit au silence

Selon le bioacousticien Bernie Krause, la moitié des sons de la nature a disparu depuis les années 1960. En raison des activités humaines, les bruits de la vie sont devenus inaudibles. Alors, les animaux se taisent.

https://www.lemonde.fr/planete/article/2013/03/30/l-orchestre-de-la-nature-se-tait-peu-a-peu_3150765_3244.html

Let nature sing fait un tabac en Grande Bretagne

Ce morceau a fait son entrée le 9 mai dernier dans le TOP 20 entre Taylor Swift et Lady Gaga. Attention aux décibels.

En 50 ans, seulement plus de 40 millions d’oiseaux ont disparu du ciel britannique. Et les sondages ont montré que très peu de citoyens anglais étaient conscients de la crise actuelle.

Comme en France où l’on ne peut bouger personne ! 

La vie s’éteint sans éveiller.

https://www.youtube.com/watch?v=Ge-cYtK8QwI

Ce n’est pas l’écologie qui a choisi Lalonde, c’est Lalonde qui a choisi l’écologie

par Hervé le Nestour 1981

Lalonde voulait faire de la politique, donc l’écologie a dû faire de la politique.

La concurrence était trop forte dans le militantisme étudiant ou le PSU, par lesquels il est passé, pour qu’il puisse y réussir.

Par contre l’écologie et les écologistes étaient une proie facile puisque ceux qui la pensaient ou la vivaient la trouvaient antagoniste à la politique.

Le champ était donc libre avec la complicité de tous les politiques peu soucieux de se voir débordés par un mouvement de foule non dupe, et de tous les transfuges ex-politiques assez conditionnés aux pratiques et ambitions politiques pour se contenter de miettes.

L’illusion et le vide associatif étaient des outils d’autant plus maniables que Lalonde était le fanion idéal pour certaines complicités américaines.

En fait, tout concordait pour un résultat nul sauf pour lui, y compris le besoin d’une tribune pour une écologie ayant quelque chose à dire, et quelques ouvertures à proposer pour sortir la société de l’impasse.

Et le créneau électoral était tentant, si rares sont les créneaux. Un peu d’insistance, facile quand on a le temps et les moyens personnels et relationnels, et « on » se retrouve permanent, délégué, candidat, porte-parole … quitte alors à ne pas « porter la parole » de ceux qui ont quelque chose à dire, mais pour occuper la place pour que des choses ne soient pas dites, et à l’occasion dire que l’on n’a rien à dire.

Il y a de la place en politique pour ce genre de rôle.

Et une fois l’association faite dans l’esprit public (et les médias), Ecologie = Lalonde (par renvoi de l’ascenseur Dumont), peu importe les mécontents, les contestataires, les groupes et les… écologistes.

Le potentiel de l’écologie ainsi soigneusement neutralisé ne peut plus guère déranger puisqu’on a aussi soigneusement découragé des générations successives de volontaires et de compétences. Comme disait Peter, le seuil d’incompétence lalondiste est atteint.

Les écologistes néophytes ou naïfs attirés à l’écologie par le sourire crispé de Brice et sa juvénilité archaïque seront choqués par cette « attaque personnelle« .

En écologie, tout il doit être beau et gentil, et harmonieux et pacifiste, et non violent et petite fleur et tout et tout parce que vive la « Nature » et le respect du chef … naturel.

Or, l’écologie, contrairement à la politique, s’occupe des réalités vivantes et autres, et ça, ça n’est ni beau, ni gentil, ni harmonieux et pacifique, ni non violent, et la « Nature » c’était une vieille notion déjà au XIXème siècle, et l’écologie, en tout cas celle qui ne veut pas reproduire le système qu’elle critique, veut et doit se passer de chef ; les fonctionnements inédits pour cela sont connus.

Cette écologie existe et refuse de se soumettre au conformisme ; on a vu à quoi mène le conformisme, y compris en écologisme.

Cette écologie ne se contente pas de refuser, elle a été dans les origines le moteur, avec d’autres, de la plupart des actions, elle est porteuse de la plupart des idées intéressantes apportées aux changements sociaux, elle défie n’importe qui, chef compris, sur n’importe quel sujet que l’écologie concerne.

Et qu’est-ce que l’écologie ne concerne pas ?

Et surtout les inter-relations et les interactions entre les sujets.

Ces confrontations seraient nécessaires pour amplifier enfin l’envergure de l’écologie qui, jusqu’ici, s’est enfermée dans des monopoles grâce à une absence quasi totale de débats, malgré les apparences.

Vous arrive-t-il d’évaluer quelles idées sont associées à l’écologie ?

Si par exemple on mentionne pacifisme, tiermondisme, démocratisme, naturalisme, politisme, militantisme, associatisme et régionalisme, cela ne choquera personne.

Sans même préciser le contenu, on voit à peu près de quoi il peut s’agir et cela paraît bien compatible avec ce qu’exprime l’écologie, ou plutôt l’idée unique qu’on en a fait se faire l’opinion publique.

Pourtant, cette énumération n’est pas prise au hasard :

Il s’agit de notions qui, parmi d’autres, sont, selon une certaine démarche écologique, incompatibles et antagonistes avec cette écologie qui vaut bien n’importe quelle autre.

Est-ce à dire que l’écologie peut être n’importe quoi ?

Mais reste à démontrer la cohérence et l’éco-logique de chaque « option ».

Ce que nous sommes prêts à faire.

Et de confronter cette cohérence aux autres, défi pour lequel nous sommes aussi prêts.

Ces confrontations menées à fond décanteraient certainement la situation confuse de l’écologie, en obligeant à lever les équivoques et à combler les carences, ne serait-ce qu’en rendant évident qu’il n’y a pas une écologie monopolisante pour qui que ce soit, mais que l’écologie est diverse, donc diversitaire comme l’est la vie ou la société, et c’est cela, surtout cela qui peut en faire un outil d’avenir, de changement.

Hervé le Nestour
novembre 1981 pour la revue Ecologie.

L’article n’a pas été publié. Plus rien de critique ne sera publié avant 1989 ! La Deuxième Gauche et la Mitterrandie régnaient sans partage.

Cela n’était que le début de la découverte des « complicités américaines » et des autres, toutes liguées pour effacer la nouvelle gauche écologiste. A chaque nouvelle émergence du mouvement, pour chaque frémissement des alertes et des alternatives politiques, nous nous heurterons aux mêmes complicités, à la même réaction désormais partie dévoilée du système mortifère.

3 commentaires

Chantal on 24 juillet 2017 à 3 h 09 min (Modifier)

Merci, c’est un très beau texte.

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Alain BERTRAND on 12 avril 2018 à 17 h 25 min (Modifier)

Je suis très triste d’apprendre cette nouvelle, c’est effectivement quelqu’un d’important qui est parti, comme çà, bêtement.
Hervé fut un grand copain dans les années 70. Nous avons fait beaucoup de musique ensemble. Ses textes de chansons sont tout à fait extraordinaires. Les connaissez-vous ?
Savez-vous ce qu’est devenue Sandra, sa fille ?
J’attendrai une réponse avant d’en dire plus.
Peut-être à bientôt.
Alain BERTRAND

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BERTRAND Alain on 8 mars 2019 à 11 h 51 min (Modifier)

« Vous qui de l’Amazonie ne savez qu’Amazone vous qui ne savez rien

Sachez qu’on y massacre arbres, fleuves, indiens

Le meurtre est quotidien, il ne restera rien de l’Amazonie. »

Hervé LE NESTOUR 1967

Hélas comme cette prédiction se réalise aujourd’hui avec le nouveau pouvoir brésilien et ses alliés.

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